Introduction
La conquête de l’Algérie par la France, comme chacun le sait, ne fut pas, comme elle l’’avait été annoncée, une incursion guerrière punitive de la dignité française bafouée par le coup d’éventail du dey Houcine, contre le consul français Duval. D’abord, elle avait été minutieusement préparée par le rapport d’investigation du capitaine Boutin à l’empereur Napoléon I, en 1808, à l’issue de son séjour du 24 mai au 17 juillet. Ce fameux rapport avait détaillé le débarquement dans ses moindres détails et ne sera exploité qu’en 1830, pour des impératifs de politique intérieure française, notamment les soubresauts institutionnels de l’état français. Le corps expéditionnaire qui débarqua le 14 juin 1830 à sidi Ferdj avait pour mission l’invasion de l’Algérie, compte tenu de ses effectifs et son arsenal de guerre. En effet, la flotte est composée de 350 navires de la marine marchande et de 100 vaisseaux de guerre, équipés de 1800 canons. Quant aux troupes, elles étaient évaluées à 30.000 soldats voire 37.000 selon diverses sources, en plus de milliers de marins. Ces forces étaient impressionnantes, mais il fallait aux puissances internationales de l’époque d’en finir avec la marine des Janissaires. L’armée turque ne sera pas de taille à repousser les agresseurs et le dey Houcine fera sa reddition le 5 juillet 1830.
C’est alors que commença la longue lutte de résistance du peuple algérien, sous le commandement de l’émir Abdelkader et du bey Ahmed de Constantine. Elle ne prendra fin qu’à l’issue de la grande guerre de 1871, sous le double commandement de cheikh Hadad, et de l’ex bachagha Mokrani. Cette dernière guerre dura presque 2 ans, mais les conséquences pour les tribus belligérantes furent désastreuses. En effet, elles devaient payer sur 10 ans une contribution de guerre de 54 millions de francs sur une échéance de 10 ans. C’est dire que les ressources du peuple furent épuisées pour prétendre à poursuivre la guerre de résistance. Elle sera reprise en 1881 par le cheikh Bouamama qui avait tenté de l’étendre au Tell, notamment à Saida et Tiaret. Hélas elle sera circonscrite par la suite dans le Sud Oranais, précisément dans la région d’Ainsefra, jusqu’à l’année 1904, où le guerrier soufi, vieilli et épuisé, se retira au Maroc et y mourut en 1908.
Du moment que les ressources furent épuisées pour poursuivre la guerre de résistance, on devait théoriquement s’attendre à ce qu’elle continuât dans la forme politique. Hélas ce pari était loin d’être tenu par les plus hardis fils du pays. Mais le peuple qui sortait de la longue nuit noire sous la domination turque se voyait s’enfoncer davantage dans l’illettrisme et l’obscurantisme pour deux raisons principales : la fermeture des écoles coraniques et des médersas et le peu de volonté du pouvoir colonial d’ouvrir des écoles françaises ou franco-arabes, ce qui mena inéluctablement au vide culturel du peuple. Vraiment étaient chanceux ceux qui avaient la possibilité de s’instruire en suivant un cycle d’enseignement normal. Parmi ces privilégiés, on y compte Mahamed Ben Rahal.
Biographie de Mahamed Ben Rahal.
Il n’est pas aisé de faire la biographie de Mahamed Ben Rahal. Pourtant, c’était une figure emblématique qui avait fasciné de son temps par son éloquence et son aisance à manier les langues française et arabe, qui avait aussi brillé quand rares furent les lumières indigènes. Il descendait d’une grande famille illustre de lettrés de génération en génération, qui exerçait une influence en dehors de sa ville Nedroma, longtemps pôle attractif religieux, longtemps aussi capitale des Trara.
M’hamed Ben Rahal est né le 16 mai 1858. Une autre source le dit être né en 1856, selon sa propre famille toujours. Le jeune Ben Rahal est scolarisé à l’école franco-arabe de sa ville natale, ouverte en 1865, puis il poursuivit son enseignement au collège impérial franco-arabe ouvert en 1858 d’Alger, où l’enseignement était bilingue. A la fermeture de cet établissement, il est transféré au lycée de la même ville, jusqu’en 1874. Il y décrocha son baccalauréat et fit une courte carrière militaire, jusqu’en 1876. Il quitte l’armée avec une épaulette et rentre à Nedromah pour exercer le ministère de vice caïd, de son père si Hamza, puis caïd dès février 1878. Il a vite déchanté par cette carrière de fonctionnaire qui avait une piètre réputation en milieu indigène. Son diplôme ne lui permit pas pour autant de trouver un emploi public, quasiment interdit à l’indigène qu’il était. Il démissionne en 1884.. Pour preuve, il verse à la même période dans le mysticisme. Selon la fiche de renseignements de l’administrateur en 1889, il est affilié à la confrérie Darqaouwa dont il est Moqadem.
Alors commença pour lui une longue quête de soi. Dans sa petite ville, il met à profit ses temps de loisirs dans l’érudition. Le 5 octobre 1888, il publia une étude au bulletin de la société d’archéologie une étude intitulée voyage à travers les Beni Snassen. Il traduisit également l’histoire de Nedroma, une œuvre écrite par son père. Il publia un roman, La Jument, dont on ne retrouve plus aucune trace. Il choisit par la suite de militer comme conseiller général nommé, mais sans trop de résultats évidents pour ses coreligionnaires, broyés désormais par le Régime Civil d’administration de l’Algérie, en vigueur depuis 1871. Cette mission lui permettait surtout de rester actif, de faire entendre la voix de ses frères indigènes, pas seulement de sa circonscription administrative, mais de toute l’Algérie. Déçu par l’incompréhension du pouvoir colonial, il choisit la voie du mysticisme et s’affilia à la confrérie Darqaoua dont il devint Moqadem
Le mysticisme précoce est un tournant dans sa vie et il se retire dès 1900 dans sa ville Natale, déçu de voir ses propositions de réforme du code indigène, repoussées par le pouvoir colonial, déçu encore de voir ses idées innovantes pour intégrer les siens dans le modernisme, concilié avec la tradition musulmane. Cependant, il ne vit pas du tout l’ermitage et subvient à sa subsistance de son labeur agricole. Il déborde d’une activité intellectuelle intense, reçoit dans sa demeure familiale des voyageurs, des savants qui viennent de France lui rendre visite, des hommes politiques français qui sollicitent son avis. Sa renommée dépasse désormais les limites géographiques de sa ville pour aller inquiéter, voire intéresser le Parlement grâce à ses alliances intellectuelles de France, notamment parmi les orientalistes. Son discours revient toujours sur l’Africanité, terre d’Afrique, un précurseur d’Aimé Césaire, non théoricien, mais qui s’en réclamait par cordon ombilical. Déjà très jeune, M’hamed Ben Rahal conquiert le statut d’homme politique algérien à l’autorité morale, écoutée plus ou moins et respecté par le gouvernement de Paris, respecté aussi par les colons, malgré eux. Car ceux-ci le craignaient, ou du moins craignaient son action vigoureuse pour des revendications politiques et économiques, quand tous les indigènes restaient emmitouflés dans leur burnous, visage bien caché par le capuchon.