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Colloque international sur la littérature francophone maghrébine A l’université de Batna du 10 au 11 novembre 2014 ahmed bencherif
Colloque international sur la littérature francophone maghrébine
A l’université Hadj Lakhdar de Batna du 10 au 11 novembre 2014
Thème :
La condition humaine symbolique et signification dans le portrait de Djillali Boukadir dans le roman Marguerite de Ahmed Bencherif
La littérature, c’est projeter sa vie vers l’autre, la vie des autres vers l’autre ; elle est essentiellement humaine, dans ce sens qu’elle exprime nos forces et nos faiblesses, nos pulsions et nos désirs ; c’est présenter notre personnalité comme reflétée par un miroir parfait en surface et une sonde introspective dans notre moi profond. C’est notre cœur, notre âme qui parle tour à tour. C’est dire une fusion ou même une confusion de passions et de spiritualité, autrement dit une sagesse donc une forme de la raison. Elle a recours au langage pour s’exprimer, exprimer, éblouir, transporter dans l’imaginaire. Ecrire c’est parler de soi ou des autres, utiliser un style, employer des règles, des principes, une grammaire, une orthographe, un plan. Donc c’est quelque chose de normative qui s’impose. Ecrire, c’est laisser un relief de sa propre culture. Cette écriture est confrontation en double communication avec soi-même et autrui.
La littérature est souvent de culture plurielle, en un seul style d’écriture. C’est le cas de la littérature maghrébine d’expression française. Dans la littérature maghrébine, le pluriel s’impose, c’est le nous, c’est toute la société qui est visible dans la trame romanesque, d’où s’explique la multitude des personnages et une pluralité des héros. Ce n’est pas la ville urbanisée, modernisée, cultivée et partant espace de l’individu agissant. L’individu est donc histoire en propre qui se distingue de la société, une forme d’égoïsme. Mais c’est le village, le douar, la ruralité qui manque cruellement de tout : ni école, ni viabilisation. C’est le groupe social, la tribu, la fraction mais jamais l’individu agissant. Nous relevons ce caractère dans les moissons en la forme du volontariat bénévole, cette Touisa ; on va encore payer le taleb l’imam sur fonds privés par cotisation. Donc il existe toute une échelle de valeurs où l’individu a été formé et donc pour le cas c’est l’écrivain.
Cette littérature procède à la fusion du Maghreb et de la langue française qui sont deux univers différents. C’est le lieu des métissages des cultures, le lieu des ouvertures et des accès offerts par la langue française, le lieu de coexistence de deux cultures qui dialoguent, s’entrechoquent,
D’un point de vue historique, il existe une littérature maghrébine depuis 1945.on distingue aussi une disjonction de trois ensembles de textes avec perméabilité. C’est avec les relations politiques et diplomatiques avec la France que l’on peut distinguer ces trois types de mouvements littéraires :
- les littératures nationales produites en rabe classique, berbère ou dialectal échappent à l’influence française.
- les textes qui s’inscrivent dans une logique coloniale écrits par des Français pour un public français.
- les textes se réclamant d’une identité maghrébine produits par des Maghrébins d’abord engagés au moment des luttes pour les indépendances qui vise un public français dont il fallait attirer la sympathie ; aujourd’hui cette littérature est devenue classique et figure parmi les programmes scolaires. Elle a survécu à l’arabisation dans les trois états. De nos jours elle s’adresse à un public maghrébin plutôt que français , installant un nouveau dialogue entre les deux rives.
Les auteurs se servent de la langue française parce que l’histoire de leur pays l’a voulu. Le français est la deuxième langue elle est enseignée à l’école et au lycée , elle a ses programmes radio télévisés, employée dans les administrations du Maghreb dans les trois pays sauf qu’en Algérie elle n’est pas consacrée langue officielle mais elle possède quasiment la même place. La langue française ouvre une large audience sur le monde que la langue arabe.
Le débat critique est souvent biaisé et obéit à une forme de passion, loin de la sérénité avec l’ex colonisateur : les conflits refoulés, tour à tour l’attirance et la répulsion, les désirs camouflés sont en jeu dans le rapport avec lui. De plus, l’affirmation de soi est sans cesse convoquée, comme si elle était constamment contestée par l’ex colonisateur, qui l’est en fait- dans son subconscient.
La colonisation avait produit un phénomène d’acculturation. Cela avait posé une question essentielle ou disons existentielle : fallait-il écrire avec la langue du colonisateur sans être aliéné. Cette question ne cessa de hanter nos écrivains. le système colonial diffusait sa langue, sa culture par la presse, l’administration, la justice en dressant de solides barrières pour la langue arabe et berbère, par la fermeture des écoles, des séminaires, des universités traditionnelles. Il visait tout simplement l’assimilation des populations maghrébines pour les intégrer dans un ensemble de francophonie encore en formation. Sa tâche n’était pas aisée cependant, car les langues locales étaient solidement enracinées dans les trois sociétés qui avaient produit quand même produit un modèle de civilisation arabo-musulmane.
Alors c’est avec la langue du colonisateur que nos écrivains s’étaient exprimés. Ils ont composé des textes de dimension littéraire et identitaire complexe.
L’essai est le premier genre adopté. C’est une prise de parole, une manifestation de soi, par laquelle il revendiquait une place dans l’espace colonial. L’écrivain y recourait pour apporter sa contribution dans un débat ou politique ou culturel. C’est un sous genre, une littérature orientaliste, exotique qui met en lumière des peuples étranges au public occidental. C’est l’ouvrage autobiographique de Mohamed ben si Ahmed Benchérif, produit en 1921 dont il raconte les campagnes militaires au Maroc et en Allemagne et qui ne manque pas d’exotisme. Ce qui le différencie de son modèle européen, c'est un discours idéologique qui, tout en reconduisant le dualisme éthique et sociologique du discours colonial dominant. Il suggère aussi, comme en une discrète mise en garde ou un obscur fantasme de revanche, que la puissance politique et militaire a maintes fois changé de camp au cours de l'histoire des civilisations. En fait cette timide contestation n'est pas évidente à première lecture et ce roman semble plutôt faire allégeance au pouvoir colonial qui lui consent un espace - si limité soit-il - dans ses institutions éditoriales. "Echantillons" de la réussite de la mission civilisatrice de la France, ces auteurs semblent n'avoir acquis leur statut d'écrivains et d'intellectuels qu'au prix d'une "trahison" et peuvent être exhibés comme justification de la politique d'assimilation.
Les formes narratives prennent le relais. Le roman, la nouvelle se nourrissent du conte, de genres traditionnels. C’est souvent une autobiographie avec un souci de l’identité ou de l’assimilation. Le quotidien diffère de celui colporté par le colonisateur. Les pionniers sont Mohamed Dib, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Driss Chraïbi. C'est au lendemain de la seconde guerre mondiale et, plus précisément dans les années 50 que s'élabore, "dans la gueule du loup", pour reprendre encore une fois une expression de Kateb, un langage littéraire original qui va progressivement se dégager de la sphère matricielle, s'individualiser et s'autonomiser. Contrecarrant la visée hégémonique de la littérature française des colonies, des auteurs de talent innovent. Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Mohamed Dib, Kateb Yacine.C’est la littérature de combat pour les indépendances. Mais une fois les indépendances conquises, trouve-t-elle une justification quant à sa continuité ou bien elle doit se transformer ou pour mieux dire elle doit trouver un autre répertoire d’expression.
Une fois l’indépendance conquise, le problème de rapatriement des archives coloniales s’était posé avec acuité aux états maghrébins, ce qui avait engendré une politique constante irréversible du moins pour l’état algérien pour qui ces archives avaient une importance, tant elles formaient une mémoire collective pendant 130 ans de colonisation et qui évidemment touchaient les biens et les hommes, aussi bien dans la politique d’injustices et de clientélisme des autorités coloniales. Cette revendication connut des incompréhensions, des compromis, des concessions de part et d’autre pour ce rapatriement qui concernait aussi la sécurité de certaines catégories de personnes impliquées dans la guerre de libération. Donc, il s’agissait bien d’histoire, de mémoire collective à récupérer par un discours politique. Quant à la littérature, elle priorisait les thèmes d’actualité de l’état, soit pour véhiculer la légitimité r(évolutionnaire, soit vulgariser le choix du régime socialiste ou même collectiviste de grands projets de la révolution permanente, tels que la Révolution agraire ou la gestion des entreprises socialistes. C’est ainsi que la lutte, les tragédies, la propagation de l’ignorance (fermeture des écoles coraniques, des médersas par les autorités coloniales et des séminaires et interdiction de l’accès à l’école publique aux indigènes),la famine et les souffrances des générations éteintes tombèrent dans la mémoire de l’oubli.
C’est dans cette optique, que j’ai dû choisir le genre du roman historique pour mon tout premier texte littéraire. L’œuvre historique monumentale de Charles Robert-Ageron ( Les musulmans algériens et la France 1871-1919 ) m’avait conduit à me poser des questionnements sur le drame colonial, les formes de résistance pacifiques ou sous-terraines comme les avaient qualifiées mon critique Christian Pheline, reprises par son préfacier Benjamin Stora ( l’aube d’une révolution Margueritte Algérie 26 avril 1901 ) Donc Ageron avait développé tous les segments de la vie socio-politique de l’Algérie coloniale pendant cette période 1871-1919, mais également l’insurrection de Margueritte ou des Righa du 26 avril 1901 dont il avait développé les causes et les conséquences. Donc j’ai élaboré Marguerite en 2 tomes, le premier ayant trait au drame colonial, le second à l’insurrection elle-même, aidé dans mon label par une chronique du temps du défunt Laadi Flici (Qui se souvient de Margueritte ? ), ouvrage peu volumineux mais qui retranscrit les auditions au procès de la cour d’assises de Montpellier, desquelles j’ai pu reconstituer l’insurrection en cause, procès qui suscita les passions de l’opinion publique et la presse métropolitaines en faveur des insurgés, qui découvrirent pour la première fois le drame colonial de l’Algérie.
Je dois souligner que l’ouvrage essai historique de Christian Pheline, qui me cite dans six pages à mon œuvre, apporte des éléments qui se rattachent principalement à la détention, à l’étude psychologique des personnages, à la profession de foi à l’islam par contrainte pour les Européens pris en otage pendant le siège du village de Margueritte et bien entendu porte un regard d’ensemble subjective. Cela m’a amené également à produire un essai critique sur son ouvrage, actuellement sous presse.
Du moment qu’il s’agit d’histoire, il s’agit de l’homme ou de la condition humaine. Donc je vais aborder le second volet de mon étude.
La condition de l’homme dépend de son existence. C’est la vie en société c’est une notion d’origine existentialiste. C’est ce qui fait de un moi un homme ; il appartient à chacun d’inventer la meilleure manière d’être un homme pour lui-même et face à toute l’humanité, ce qui signifie qu’il est libre, mais aussi responsable de choisir sa manière d’être et d’agir. Si les hommes ne partagent pas une nature, ils partagent en revanche une condition, parce qu’ils sont tous confrontés dans la nécessité de confronter leur liberté à des limites et en général à une situation, notamment leur mortalité, le travail, la vie en société et au final leur présence dans ce monde. La condition humaine peut être définie par les valeurs humaines, ce qui fait l’universalité de l’homme, par exemple ses vices.
C’est dire que je suis acteur agissant dans la société, en m’y conformant à ses règles et ses valeurs. C’est un choix qu’il adopte pour vivre en société par delà même qu’il renvoie l’image physique d’un homme dès sa première manifestation, en ce sens qu’il se distingue de l’animal ou de toute autre chose. C'est-à-dire l’homme de la condition humaine est libre. Cette signification nous interpelle à savoir si tous les hommes sont libres. La réponse est nuancée, car au cours de l’histoire humaine, il s’est trouvé des hommes qui venaient esclaves au monde, dans l’antiquité et le moyen âge, puis pendant les siècles de colonisation occidentale. Alors est-ce qu’un colonisé appartient à la condition humaine ou bien tout simplement à la nature humaine, c'est-à-dire dans le sens l’espèce qui le distingue des autres espèces.
La nature humaine se distinguerait de la condition humaine, en ce sens qu’elle est un ensemble de caractères invariables qui borneraient nos choix et qui sont : être au monde, nécessité de travailler, être au milieu d’autres, être mortel. Par condition, nous entendons les situations historiques : naitre esclave ou seigneur dans un monde féodal par exemple. Justement dans le portrait de Djilalli Boukadir, choisi parmi d’autres, qui théorise dans Marguerite tome 1, cette condition parait clairement, définie par une situation historique qui s’était imposée par les armes et le carcan. Cet homme se retrouve au tribunal, par un cruel destin, pour avoir maraudé dans un champ de colon, poussé hors de son territoire par la famine qui y provoque l’hécatombe, le ravage de fond en comble, y fauche des vies dont les dépouilles jonchent les sentiers. D’ où, cette région porta le triste surnom de la vallée de la mort. Aussi surprenant que cela pût être, un dialogue s’établit entre le prévenu et juge colonial appelé à maintenir l’ordre colonial. Mais le dialogue est indirect. Car le juge je cite : « Il (le juge) ne parle pas l’Arabe, l’indigène ne parle pas le Français. C’est là justement que réside toute la complexité du rapport dominant-dominé : les légions d’incompréhensions s’inscrivent dans la durée, sans optique de les solutionner. Le Dominant ferme les écoles indigènes, limitent l’accès aux écoles françaises. Le Dominé a peur d’apprendre le Français, sous risque de perdre ses valeurs ancestrales, son authenticité, sa religion. Il reste retranché dans son enseignement arabe primaire, sa religion léguée d’école malékite qui le préservait des dérives, principalement l’intolérance ou encore l’excommunication d’individus. Il aura fallu attendre 1891 pour voir lancer une politique scolaire indigène sous l’impulsion du gouverneur général Jules Cambon, malgré les résistances du parti colonial qui y voyait un danger d’assimilation des indigènes, assimilation d’ailleurs rejetée en bloc par ceux-ci.
Le procès se situe au tribunal en salle d’audience sombre et lugubre, là où l’on rend théoriquement la justice qui a été toujours l’idéal de l’homme sociable. C’est un triple procès : procès du droit, procès moral et procès de conscience. L’objet commun du procès est un vol, mais bien particulier, car il sort de sa classification délictuelle pour s’éloigner considérablement du droit commun, conçu pour juger des gens normaux. Or le prévenu apparait sous son vrai angle de victime du drame colonial, tandis que le juge se sent coupable de la chute aux enfers de cet homme qu’il s’apprêtait à juger.
Il n’y a pas de préambule pour justifier le vol, dénoncer ou démystifier ce tribunal . La scène se passe comme dans un contexte naturel de jugement des fautes des hommes. Tout comme, il n’y a pas de description, pourtant chère à l’auteur tout au long de son œuvre et à laquelle il accorde une place privilégiée, tel Honoré de Balzac. Rien n’est décrit, ni le mobilier, ni le public, ni le juge d’ailleurs. Le public est seulement une masse humaine compacte, immobile, silencieuse, dans l’expectative. Seul le personnage central est identifiable : Hamza, encore adolescent, autour duquel est tissée la trame romanesque. Son antagoniste est aussi là : Gaston, le colon exploiteur et éradicateur qui incarne le mal colonial. Le public et le magistrat attendaient l’entrée d’un bandit de grand chemin, vigoureux et hardi, amoureux du risque et du danger, un évadé des prisons de la Guyanne, qui traversa des mers et des monts, des brousses et des savanes africaines pour rentrer chez lui et se remettre au vol de produits agricoles, appartenant aux colons et au moyen desquels il va secourir ses semblables indigènes qui vivent dans la misère, dans le dénuement total.
Mais la surprise est scandaleuse, l’émotion si forte qu’elle est angoissante. Le public est sidéré, consterné. Il retient son souffle, ses pleurs, le juge même est totalement atterré. La vision est cauchemardesque ; le public voit une forme humaine qui ne ressemble à aucune autre forme humaine. Le public et le personnage central découvrent le vrai visage du colonialisme : un visage, hideux, sinistre, maléfique, imbu d’orgueil et de puissance.
« Il parut au chambranle de la porte de service, soutenu par deux gardes : le temps se figea, la terre cessa de tourner, les regards restaient suspendus à la forte vision, la mouche ne volait plus. L’homme traînait le pas, aussi léger qu’une feuille morte, ses jambes amorphes ne le portaient pas, son dos recourbé se déformait, ses bras retombaient mollement, le sang n’irriguait pas son visage, sa vue confondait les êtres et les choses, ses yeux embués de détresse clignaient, ses paupières se rabattaient lourdement par intermittence. Etait-il de la condition humaine ? Son état physique ne l’indiquait pas. C’était un corps décharné, aussi honteux que cela fût, une charpente osseuse cramoisie, un squelette vivant qui craquait à chaque mouvement et créait de l’épouvante ». (Page 215 Marguerite T/1 Publibook Paris 2008) Djillali Boukadir était un homme ravagé par l’homme, son semblable qui lui refusait l’accès dans son monde.
L’évènement est vécu par le lecteur sous forme de dialogue donc la scène se passe au présent, trop visible, trop vraie. Claude, le juge, est mal à l’aise. Il craint l’administrateur et doit sanctionner sans pitié et en même temps il est tiraillé par sa conscience, son intime conviction, aussi. Il connait les limites à sa liberté, donc il est par excellence dans la condition humaine. Dans son mental, un exercice périlleux d’examen de conscience le torture. Djillali Boukadir est serein. De ce fait il se place au-dessus du juge. Il ne répond pas sèchement aux questions. Il parle, il n’a pas peur. C’est un homme résolu à dire tout ce qu’il a dans l’âme et dans le cœur. Le juge condamne le défaut de permis de circuler, donc, une forme de prison hors de l’enceinte de la prison, une atteinte grave à la liberté qui pourrait provoquer des séditions dangereuses à la sécurité publique, au maintien de l’ordre colonial. Cette condamnation passe en premier avant le délit du vol qui est matérialisé.
- Le juge : « Le défaut de permis de circuler est un délit grave, passible de prison ».
Djillali Boukadir : « La prison prive de liberté ceux qui sont libres. Quant à moi, je ne suis pas libre et chaque jour je fais un pas vers l’échafaud, car en sortant des entrailles de ma mère, j’étais déjà mort.
Voilà bien la réponse à cette question interpellatrice de la condition humaine. Il s’agit de liberté : liberté de penser, d’agir, de croire, de choisir. Mais toutes ces valeurs sont à partager avec mon semblable, donc on est dans le phénomène social par excellence. Jean-Paul Sartre nous dit qu’on est libre avant d’être l’humain pour enfin atteindre cette condition humaine. Mais voyons comment l’islam authentique considérait cette notion, quand il était en pleine expansion prometteuse de philosophie, de sciences, si bien que j’arrive à penser que l’homme donne lui-même un sens à toute religion. Le deuxième Khalife Omar dit :
« Depuis quand avez-vous réduit les gens à l’esclavage, alors que leurs mères les as mis libres au monde »
Donc la liberté est le contraire de cet esclavage. La prison nous limite en tous points de vue : dans l’espace et dans le temps, dans nos choix des plus simples aux plus complexes.
Le narrateur rajoute en réponse à cette interpellation d’appartenance à la condition humaine de Djillali Boukadir :
« son état physique ne l’indiquait pas. C’était un corps décharné, une charpente osseuse cramoisie, un squelette vivant qui craquait à chaque mouvement »
De nos jours, quand on voit ces images d’enfants, de femmes, d’hommes africains, ravagés physiquement par la famine, on ne peut que rajouter ce besoin d’entretien physique, cette lutte humaine contre la soif et la faim.
Le dialogue se poursuit à la désapprobation du juge qui est obligé d’écouter les sentiments, les impressions, dans la sérénité intentionnelle pour faire le procès du colonialisme. Djillali Boukadir ne dénonce pas, mais il raconte sa vie, principalement sa quête du pain, indique le milieu dans lequel il vit, en montre les vertus et les valeurs, face à cette barbarie qui lui était prêtée pour l’agresser et le dominer.
- Le juge : « d’où viens-tu ? »
- Djillali Boukadir « Je viens de la vallée de la mort. »
- le juge : « Où se trouve la vallée de la mort ? »
- Djillali Boukadir : « C’est la vallée du Chélif, transformée en un immense désert par une sécheresse depuis cinq ans. Les nuages ne roulent plus dans le ciel, la terre s’est gercée, les oueds ont tari, le blé ne pousse plus, les plantes vivaces sont déracinées et emportées par les vents, le lièvre et le rat des champs ont disparu. Les gens se nourrissent de détritus et d’herbes sauvages, meurent affamés par milliers, c’est l’hécatombe, les cadavres gisent dans les vallons et les collines et font le gala de l’hyène et du chacal, les hommes annihilés n’ont plus la force de creuser des tombes, les râles d’épouvante assiègent le sommeil nocturne.
Des vérités crues qui sortaient de la bouche d’un homme innocent, poussé par la famine à manger un bien qui n’était pas le sien. Elles mettaient à nu ces phrases redondantes qui glorifiaient et magnifiaient ce mal dont souffrait Djillali et son peuple, mal incarné par un colonialisme impitoyablement destructeur qui stoppait toute évolution de la société indigène vers le bien-être, vers l’éviction de l’obscurantisme et de l’ignorance pour garder quasiment ces populations dans un état quasiment primaire, presque à l’état animal pour se consacrer seulement à la quête de la nourriture d’entretien, une sorte d’instinct de conservation.
- Le juge : « Tu as volé des pommes de terre et des carottes dans la ferme de Mates. »
- Djillali : « - J’étais affamé et dans la vallée de la mort, nous ne mangions que des herbes, ma femme, mes trois petits enfants et moi-même, pendant plus de quatre mois. Mes gosses me faisaient terriblement souffrir ; ils bêlaient et marchaient à quatre pattes comme de petits agneaux. Faisaient-ils cela pour jouer ou avaient-ils mu en mammifères ? Ils moururent, mes pauvres petits, et j’ai déployé un effort surhumain pour les enterrer. »
Cet homme frappé par la famine souffrait doublement le martyre : le sien et celui de ses enfants. L’amour filial était plus fort que le propre instinct de conservation qui se développe naturellement dans toutes les conditions chaotiques où les valeurs se perdent et chacun ne cherche que sa propre survie. L’évocation de ses enfants le sort carrément de son état d’éveil. Il est victime de graves hallucinations, quand il parle de leur mue en mammifères. Il déplore plaintivement leur mort et se ressaisit pour déclarer qu’il avait déployé en bon humain un extrême effort pour les enterrer.
- Le Juge : « Pourquoi as-tu volé ? »
- Djillali : « Ai-je volé ? Non. Mon ventre sentit la nourriture dans le champ, vit les pommes de terre et les carottes ; la faim m’a ordonné d’en manger et d’emporter un sac de provisions pour ma femme, restée dans une petite grotte. Elle était belle, ma femme, enviée par les belles. La misère l’avait défigurée et déformée, la sénilité précoce la frappa. Ah ! Ma femme ! Une nouvelle épouse n’atteindra jamais ta grâce fanée dans laquelle je vis toujours ».
Sa femme était belle. Elle incarnait, dans son subconscient, sa patrie avant son viol par son agresseur. Oui, il la pleurait. C’était bien son Algérie meurtrie, défigurée qui avait perdu sa beauté, ses grâces et jamais une autre patrie ne la remplacera.
Le juge : « Le maraudage est immoral et requiert jusqu’à huit années de prison ou plus ».
Djillali n’est pas pour autant perturbé, ni intimidé par cette condamnation morale lancée par le juge qui, il faut l’avouer, vit pendant ce procès une crise de conscience. Il était tantôt juge de siège, donc légaliste, tantôt avocat général donc requérant la peine maximale. C’était un bon français qui avait fait ses études de droit en France et il ne croyait pas tellement à une colonisation bienfaitrice, car toute colonisation dépouille ses victimes de leurs biens et leurs valeurs, comme elle leur bloque la voie du progrès.
(extrait Marguerite tome 1 page 210 et suivant.
« Sans le vouloir, Claude se comporta en qualité de procureur et requit la sentence, édictée par son subconscient. Il se rendit compte qu’il n’avait pas agi en conformité avec sa conscience et se tint rigueur. Ce fut l’un des problèmes auxquels il se confrontait dans sa magistrature de siège. C’était un bon juge, assurément légaliste, épris d’humanisme. Cet innocent réquisitoire donna une indicible jouissance aux colons et une profonde émotion aux indigènes. le maraudage n’était pas considéré comme un délit innocent, que peut commettre dans bien des cas une quelconque personne par insouciance. Il était qualifié de crime et le tribunal de Constantine avait puni l’auteur d’un maraudage de raisins de huit années de réclusion »
Djilali « La religion, la morale même, ordonne d’inhumer nos morts. »
Donc, voilà que Djillali fait le procès du colonialisme, au double plan de la religion et de la morale. Mais il est seul, il est dans la solitude et n’espère pas tant secouer le joug colonial qui obéit à une autre logique révolutionnaire. n’a plus où se réfugier le dernier refuge est détruit, c’est l’amour ; sa femme n’est plus belle ; elle a désastreusement vieilli par la misère la famine la frustration. « La pire souffrance est dans la solitude qui l’accompagne. André Malraux » .
Le juge souffrait peut-être plus que cet homme qu’il allait juger. « Claude était bouleversé par la vision apocalyptique dont il suivait le déroulement dans son imagination. Noblesse d’âme ! Il condamnait, au fond de lui-même, cette tyrannie que ses concitoyens perpétraient sans vergogne. Il essaya de raisonner et de trouver, sans résultat, une logique à la colonisation qui provoquait le désordre social catastrophique et ne respectait pas les droits de l’homme. Il en avait honte et ressentait une grande indignation. Sa conscience fut confrontée à un conflit entre la raison et le cœur, entre l’application de la peine et le pardon. Jugeait-il un voleur ou un affamé ? Le Droit français ne répondait pas à cette question épineuse, ce qui le désolait et le mettait dans une situation impossible. Il tenait tant à amnistier Djillali. Qui comprendrait sa décision ? Qui partagerait ses nobles sentiments ? La partie civile exigeait de rendre justice, l’administrateur en ferait une affaire d’Etat et saisirait le procureur général. Claude était mal parti et la presse coloniale ne manquerait pas de le fustiger. Les anales judiciaires de l’Algérie rapportaient la sévérité des peines appliquées par les tribunaux aux divers maraudages et qui se chiffraient en années. Il appliquerait la peine selon son intime conviction, sans tenir compte de l’hostilité de l’environnement. Aussi, il condamna douloureusement Djillali Bou Kaddir, à trente jours de prison, puis renvoya l’audience à huitaine. Marguerite tome 1 p 215 »
1.Bibliographie
- La critique Littéraire au XXe Siècle , Jean –Yves Tadié ,POCKET,1997
Nouveaux essais , LOUIS HJELMSLEV ,PUF ,1985
- Les Genres du Discours , Tzvetan Todorov, coll,Points
Linguistiques et colonialisme ,Louis-Jean Calvet,Petite Bibliothèque Payat ,1988
- Convergences Critiques ,Christiane Achour , Simone Rezzoug ,OPU2009
L’image du Corps ,Paul Schilder ,Gallimard,Paris ,1980
- Le récit poétique , Jean –Yves Tadié ,PUF,1978
- Le discours du roman ,Henri Mitterrand ;PUF,Paris,1980
- Signes, Langues et Congnition,Pierre Yves Raccach,L’Harmattan ;2005
- Sémantique interprétative ,François Rastier ,PUF,2009
Biographie
Ahmed Bencherif est né le 4 mai 1946 à Ain-Sefra. Il y fit ses études primaires, puis secondaires au Lycée Lavigerie des Pères Blancs, puis il poursuivit des études de droit public à Bechar. Ses vocations littéraires étaient certaines, il fit des essais de 2 romans et un recueil de poésie, non publiés cependant dans les années soixante dix, tombés hélas en déperdition par suite de circonstances exceptionnelles. Instituteur, puis administrateur. En 1883, il élabora une courte biographie du résistant Bouamama, 1881-1908, à la demande du ministère de la Culture. . Il est aussi amené à connaître deux figues emblématiques qui avaient marqué Ain-Sefra : le maréchal Lyautey et Isabelle Eberhardt.
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Ouvrages publiés :
Marguerite tome 1 roman historique
Juin 2008 Editions Publibook Paris
La grande ode livre poésie
Décembre 2008 Editions Publibook Paris
Marguerite tome 2 roman historique
Octobre 2009 Editions Edilivre Paris
Odyssée livre poésie thèmes universels
Avril 2010 Editions Edilivre Paris
hé hé hé c’est moi qui l’ai tué roman psychologie sociale-
Mars 2013 Editions Dar Rouh Constantine
Ouvrages sous presse :
- Gétuliya et le voyage de la mort
- L’aube d’une révolution Margueritte 26 avril 1901 Algérie
Approche communicationnelle
Ouvrage à paraître :
Les odes de l’Amour
Activités culturelles scientifiques :
Présentation vente dédicace ouvrage Marguerite la grande ode Au salon international du livre Paris mars 2009 ; non conclue Pour refus de visa par les services consulaires
présentation vente dédicace juin 2009 Maison de la culture Naama
communication à l’université d’Oran école doctorale traductologie : Œuvre Marguerite la poésie populaire et les perspectives de traduction décembre 2010
communication sur le 14 juillet 1953 sanglant à Paris et le martyr Daoui Larbi, militant MTLD d’Ain-Sefra ;répressions de la manifestation pacifique à Paris qui revendiquait l’indépendance 5 juillet 2011
Communication sur la vie et l’œuvre du poète et moudjahed Chami Ahmed 13 janvier 2012 maison de la culture Mila .
récital poétique au musée du Moudjahed de Naama 31 octobre 2012
présentation vente dédicace ouvrage hé hé hé c’est moi qui l’ai tué Centre culturel Frantz Fanon Mecheria.
Ahmed Bencherif
Ecrivain et poète
Tel +2130665842352
Email : haida.bencherif@yahoo.fr
Site : http://bencherif.unblog.fr
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