Le chef de l’insurrection
Yakoub, chef de l’insurrection, n’avait pratiquement donné aucune directive sur la manière de mener les opérations. Il ne revendiqua point ce statut sur le terrain, bien qu’il en endossât la responsabilité entière au procès à Montpellier, lors de sa déposition : « Vous dites que j’étais chef et que je donnais des ordres. Eh bien. Je reconnais avoir donné des ordres…J’assume la pleine responsabilité de tout ce qui s’est passé ». (4) Sauf cas d’erreur manifeste, on est en présence d’une révolte paysanne manifeste, qui présente des similitudes avec la jacquerie. Là encore, les journaux coloniaux le désignent sous le nom de marabout de manière intéressée, comme nous le verrons plus loin. D’ailleurs, Le Journal La Dépêche du lundi 29 avril lui consacre un long article sous le titre de la jacquerie algérienne, dans lequel il relate que les cavaliers sont une vingtaine armés de fusils et de sabre. Les autres hommes sont à pied, pourvus seulement de gourdins, de haches et de pioches. Cette caractéristique la distingue de toutes les résistances menées par le peuple, qui étaient essentiellement composées de cavalerie et dotées d’armes de guerre.
Yakoub était un adepte de la confrérie ‘Rahmaniya’ qui était sous la direction de son père ( Moqadem). Dans sa vie mystique, Il était connu pour ses crises convulsionnaires. En outre, il entrait dans des moments d’extase mystique. Voici un caractère qui a pour désavantage de le distraire de la réalité du terrain. D’ailleurs, Madame Jenoudet, une femme victime, déposa au procès et déclara que Yakoub leur paraissait doux. (5). Sa vie sociale était pour ainsi dire misérable et travaillait comme ouvrier agricole saisonnier, tailleur d’échalas. Ses bagages intellectuels étaient quasiment nuls. Donc, il ne prétendait ni aspirait à un quelconque rôle de prédicateur ou Moqadem. Sa connaissance de l’islam se résumait à observer la prière avec le peu de sourates, ainsi que le carême. Certains colons vont jusqu’à dire qu’il était un buveur invétéré. Cette affirmation ne tient pas à l’analyse. En effet, les services de police et l’administrateur auraient appris ce vice et l’auraient utilisé sciemment.
Des échos circulaient que l’instigateur de l’insurrection était un marabout Hadj Ben Aissa, très influent dans la région du Zaccar. Il avait réuni un millier de pèlerins dans son campement, la région de Meliana qui drainait une affluence considérable. C’était une fête festive en hommage d’un marabout, comme il y en a pendant le mois d’avril, réputé pour les aumônes collectives (Ouada) Il y a lieu de penser que c’est bien Hadj El Aicha dont Yakoub avait quitté le campement. Comme, il y eut confusion entre les tribus révoltées, celle des Benimenaceur et celle des Righa, il devait y avoir aussi des confusions dans les noms. Le Journal Le Matin rapporte l’opinion d’un ex commandant chef de Bureau Arabe qui connaissait personnellement le marabout en question. Il réfute catégoriquement que ce soufi eût été l’instigateur de la révolte. Il rajoute que le mouvement n’était pas déclenché par une zaouïa. Dans le cas contraire, toutes les zaouïas auraient rallié la rébellion. (6)
L’historien Abou Kassem Saadallah rejoint cette idée et donne une définition de révolte confrérique dirigée par un marabout authentique, et non un marabout à l’occasion. Ce personnage est, dit-il, une personnalité politique sainte qui détient les pouvoirs spirituels religieux et politiques du mouvement insurrectionnel. Il ajoute :
« Ce personnage était très respecté, voire même vénéré de façon superstitieuse et ses paroles avaient force de loi pour la communauté. Il était habituellement fort versé dans le domaine du savoir traditionnel. Grâce à de telles personnalités, les confréries pouvaient se définir ainsi : sur le plan politique, elles devinrent un parti ; sur le plan social et économique, une organisation de type féodal ; enfin, sur les plans spirituels et intellectuel, une école unificatrice des courants de la pensée et des branches du savoir ». (7)
Force est de constater que le personnage de Yakoub ne possède pas les mêmes aptitudes intellectuelles et spirituelles, ni l’influence dans son milieu immédiat, encore moins dans sa propre tribu et donc la rumeur que la révolte était imputée à une zaouïa était sans fondement aucun. Sur ce registre, nous avons des chefs confrériques qui avaient dirigé les insurrections, tels que l’émir Abdelkader, Boumaza ElHadad, Bouamama et autres.
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