Hamza, lauréat de la medersa; Marguerit t/1 ahm bencherif

        Hamza avait passé quatre années d’enseignement à la zaouïa de Meliana dont les vacances annuelles n’excédaient pas dix jours, en période unique. Il avait mûri et grandi, cloîtré dans le pensionnat et illuminé par les études qu’il suivait passionnément, avec un esprit critique qui avait suppléé à sa curiosité naturelle et une détermination qui avait remplacé précocement son rêve. Car la jeunesse est un beau jardin, hélas aux moissons brèves. On pense à perpétuer son nom en faisant des enfants, à travailler pour vivre, à faire fortune et tous les hommes sont, sur ce plan, du même limon et la nubilité est là, pour leur rappeler cette amère vision et les placer involontairement sur ce même chemin que suivit la procréation. Rares sont ceux qui vivent sur cette terre, exclusivement pour leur cause : ils sont des fous, des inconstants, des pécheurs, des bons à rien et leurs allégations ne sont jamais prises au sérieux par les gens. Hamza appartenait à ce genre d’hommes qui vivaient pour leurs idées et les défendaient vaillamment.

        Meliana était une commune de plein exercice et, à ce titre, son centre urbain était habité majoritairement par une population européenne. Hamza y rencontrait tous les jours des Français et si l’habitude de les voir en permanence devait se traduire normalement par de l’accommodation, elle avait mu en xénophobie et donc en perception nationaliste. A l’école, il s’était bâti la réputation de rebelle parmi ses camardes dont certains partageaient ses convictions. Il se procurait aussi des journaux clandestins qui l’édifiaient savamment sur la question nationale et la nécessité d’abattre l’état colonial dont la dimension devenait de plus en plus horrible et intenable et, là-dessus, ses propres professeurs ne ménageaient pas leur éloquence. Il avait une sublime admiration pour la ville dont le tiers seulement des terres agricoles furent dépouillées par le conquérant, contrairement aux localités voisines, lesquelles furent saignées à blanc. La baraka du saint y veillait, ainsi que la menace constante du baroud de la puissante tribu des Beni Menacer qui avait plus d’une fois mis en péril la sécurité.  Il sut qu’elle rayonnait de culture et avait produit de grands lettrés au 13 et 14ème siècle, tels que Ahmed Ben Othmane Elmeliani, poète et écrivain, Ali Ben Othmane Ben Moussa Elmeliani, théologien, Ali Ben Mekki Elmeliani, théologien et juriste. 

         Il sortit major de promotion, par excellence, dans les premiers jours du mois d’octobre, titulaire d’un diplôme qui lui permettait d’accéder à une chaire de prédicateur et une grande fête fut donnée, par sa famille, pour cette heureuse élévation intellectuelle. Il avait repris son train de vie habituel, partagé entre le magasin et la mosquée où il dispensait bénévolement des cours. Sa forte personnalité s’était davantage affirmée et il avait repoussé gentiment le vœu cher à son père pour le marier à cet age et lui assurer une existence rangée. Il avait autre chose à faire que de s’emprisonner dans la prétendue cage d’or et se proposait de former un réseau clandestin pour la rébellion. En effet, son projet insurrectionnel, auquel adhérait pleinement son ami et camarade de promotion, Ali, devenait irrévocable, une question de vie ou de mort.      

         Son retour avait coïncidé avec la saison des labours qui commença dans la deuxième moitié du mois d’octobre et il y travaillait depuis deux jours. Les choses ne s’étaient guère améliorées. Les ouvriers souffraient le même dénuement que trahissaient leurs habits indigents de l’ordinaire et leurs peaux desséchées de malnutrition. Leur troupe était cependant moins nombreuse qu’aux moissons. Il y avait moins de bénévoles et point de roulants. Ils étaient une trentaine de paysans à travailler d’arrache pied dans une joyeuse ambiance. Certains luttaient vaillamment contre un sol dur et insuffisamment humide que défonçaient difficilement les socs qui traçaient des sillons dont la profondeur atteignait un pied. Ils poussaient à perdre haleine les charrues que tractaient des bœufs ou des mulets. D’autres nourrissaient la terre : ils portaient en bandoulière un sac de laine, plein qu’ils épandaient jovialement en faisant valser le bras dans un mouvement giratoire formidable. L’enthousiasme des travaux champêtres y régnait toujours, avec la même ardeur, la même joie et les chants religieux éternels.  

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