Thème :
La condition humaine symbolique et signification dans le portrait de Djillali Boukadir dans le roman Marguerite de Ahmed Bencherif
La littérature, c’est projeter sa vie vers l’autre, la vie des autres vers l’autre ; elle est essentiellement humaine, dans ce sens qu’elle exprime nos forces et nos faiblesses, nos pulsions et nos désirs ; c’est présenter notre personnalité comme reflétée par un miroir parfait en surface et une sonde introspective dans notre moi profond. C’est notre cœur, notre âme qui parle tour à tour. C’est dire une fusion ou même une confusion de passions et de spiritualité, autrement dit une sagesse donc une forme de la raison. Elle a recours au langage pour s’exprimer, exprimer, éblouir, transporter dans l’imaginaire. Ecrire c’est parler de soi ou des autres, utiliser un style, employer des règles, des principes, une grammaire, une orthographe, un plan. Donc c’est quelque chose de normative qui s’impose. Ecrire, c’est laisser un relief de sa propre culture. Cette écriture est confrontation en double communication avec soi-même et autrui.
La littérature est souvent de culture plurielle, en un seul style d’écriture. C’est le cas de la littérature maghrébine d’expression française. Dans la littérature maghrébine, le pluriel s’impose, c’est le nous, c’est toute la société qui est visible dans la trame romanesque, d’où s’explique la multitude des personnages et une pluralité des héros. Ce n’est pas la ville urbanisée, modernisée, cultivée et partant espace de l’individu agissant. L’individu est donc histoire en propre qui se distingue de la société, une forme d’égoïsme. Mais c’est le village, le douar, la ruralité qui manque cruellement de tout : ni école, ni viabilisation. C’est le groupe social, la tribu, la fraction mais jamais l’individu agissant. Nous relevons ce caractère dans les moissons en la forme du volontariat bénévole, cette Touisa ; on va encore payer le taleb l’imam sur fonds privés par cotisation. Donc il existe toute une échelle de valeurs où l’individu a été formé et donc pour le cas c’est l’écrivain.
Cette littérature procède à la fusion du Maghreb et de la langue française qui sont deux univers différents. C’est le lieu des métissages des cultures, le lieu des ouvertures et des accès offerts par la langue française, le lieu de coexistence de deux cultures qui dialoguent, s’entrechoquent,
D’un point de vue historique, il existe une littérature maghrébine depuis 1945.on distingue aussi une disjonction de trois ensembles de textes avec perméabilité. C’est avec les relations politiques et diplomatiques avec la France que l’on peut distinguer ces trois types de mouvements littéraires :
- les littératures nationales produites en rabe classique, berbère ou dialectal échappent à l’influence française.
- les textes qui s’inscrivent dans une logique coloniale écrits par des Français pour un public français.
- les textes se réclamant d’une identité maghrébine produits par des Maghrébins d’abord engagés au moment des luttes pour les indépendances qui vise un public français dont il fallait attirer la sympathie ; aujourd’hui cette littérature est devenue classique et figure parmi les programmes scolaires. Elle a survécu à l’arabisation dans les trois états. De nos jours elle s’adresse à un public maghrébin plutôt que français , installant un nouveau dialogue entre les deux rives.
Les auteurs se servent de la langue française parce que l’histoire de leur pays l’a voulu. Le français est la deuxième langue elle est enseignée à l’école et au lycée , elle a ses programmes radio télévisés, employée dans les administrations du Maghreb dans les trois pays sauf qu’en Algérie elle n’est pas consacrée langue officielle mais elle possède quasiment la même place. La langue française ouvre une large audience sur le monde que la langue arabe.
Le débat critique est souvent biaisé et obéit à une forme de passion, loin de la sérénité avec l’ex colonisateur : les conflits refoulés, tour à tour l’attirance et la répulsion, les désirs camouflés sont en jeu dans le rapport avec lui. De plus, l’affirmation de soi est sans cesse convoquée, comme si elle était constamment contestée par l’ex colonisateur, qui l’est en fait- dans son subconscient.
La colonisation avait produit un phénomène d’acculturation. Cela avait posé une question essentielle ou disons existentielle : fallait-il écrire avec la langue du colonisateur sans être aliéné. Cette question ne cessa de hanter nos écrivains. le système colonial diffusait sa langue, sa culture par la presse, l’administration, la justice en dressant de solides barrières pour la langue arabe et berbère, par la fermeture des écoles, des séminaires, des universités traditionnelles. Il visait tout simplement l’assimilation des populations maghrébines pour les intégrer dans un ensemble de francophonie encore en formation. Sa tâche n’était pas aisée cependant, car les langues locales étaient solidement enracinées dans les trois sociétés qui avaient produit quand même produit un modèle de civilisation arabo-musulmane.
Alors c’est avec la langue du colonisateur que nos écrivains s’étaient exprimés. Ils ont composé des textes de dimension littéraire et identitaire complexe.
L’essai est le premier genre adopté. C’est une prise de parole, une manifestation de soi, par laquelle il revendiquait une place dans l’espace colonial. L’écrivain y recourait pour apporter sa contribution dans un débat ou politique ou culturel. C’est un sous genre, une littérature orientaliste, exotique qui met en lumière des peuples étranges au public occidental. C’est l’ouvrage autobiographique de Mohamed ben si Ahmed Benchérif, produit en 1921 dont il raconte les campagnes militaires au Maroc et en Allemagne et qui ne manque pas d’exotisme. Ce qui le différencie de son modèle européen, c'est un discours idéologique qui, tout en reconduisant le dualisme éthique et sociologique du discours colonial dominant. Il suggère aussi, comme en une discrète mise en garde ou un obscur fantasme de revanche, que la puissance politique et militaire a maintes fois changé de camp au cours de l'histoire des civilisations. En fait cette timide contestation n'est pas évidente à première lecture et ce roman semble plutôt faire allégeance au pouvoir colonial qui lui consent un espace - si limité soit-il - dans ses institutions éditoriales. "Echantillons" de la réussite de la mission civilisatrice de la France, ces auteurs semblent n'avoir acquis leur statut d'écrivains et d'intellectuels qu'au prix d'une "trahison" et peuvent être exhibés comme justification de la politique d'assimilation.
Les formes narratives prennent le relais. Le roman, la nouvelle se nourrissent du conte, de genres traditionnels. C’est souvent une autobiographie avec un souci de l’identité ou de l’assimilation. Le quotidien diffère de celui colporté par le colonisateur. Les pionniers sont Mohamed Dib, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Driss Chraïbi. C'est au lendemain de la seconde guerre mondiale et, plus précisément dans les années 50 que s'élabore, "dans la gueule du loup", pour reprendre encore une fois une expression de Kateb, un langage littéraire original qui va progressivement se dégager de la sphère matricielle, s'individualiser et s'autonomiser. Contrecarrant la visée hégémonique de la littérature française des colonies, des auteurs de talent innovent. Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Mohamed Dib, Kateb Yacine.C’est la littérature de combat pour les indépendances. Mais une fois les indépendances conquises, trouve-t-elle une justification quant à sa continuité ou bien elle doit se transformer ou pour mieux dire elle doit trouver un autre répertoire d’expression.
Une fois l’indépendance conquise, le problème de rapatriement des archives coloniales s’était posé avec acuité aux états maghrébins, ce qui avait engendré une politique constante irréversible du moins pour l’état algérien pour qui ces archives avaient une importance, tant elles formaient une mémoire collective pendant 130 ans de colonisation et qui évidemment touchaient les biens et les hommes, aussi bien dans la politique d’injustices et de clientélisme des autorités coloniales. Cette revendication connut des incompréhensions, des compromis, des concessions de part et d’autre pour ce rapatriement qui concernait aussi la sécurité de certaines catégories de personnes impliquées dans la guerre de libération. Donc, il s’agissait bien d’histoire, de mémoire collective à récupérer par un discours politique. Quant à la littérature, elle priorisait les thèmes d’actualité de l’état, soit pour véhiculer la légitimité r(évolutionnaire, soit vulgariser le choix du régime socialiste ou même collectiviste de grands projets de la révolution permanente, tels que la Révolution agraire ou la gestion des entreprises socialistes. C’est ainsi que la lutte, les tragédies, la propagation de l’ignorance (fermeture des écoles coraniques, des médersas par les autorités coloniales et des séminaires et interdiction de l’accès à l’école publique aux indigènes),la famine et les souffrances des générations éteintes tombèrent dans la mémoire de l’oubli.