La journée laborieuse commença par des écriées chaudes et chacun appelait d’une voix forte son coéquipier, les travaux champêtres nécessitant le plus d’entente et une force physique plus ou moins égale. Quelques roulants, les plus endurants et les plus rapides, partirent de leur plein gré aux hectares qui restaient à moissonner, tandis que le gros de l’effectif se forma en groupes qui quadrillèrent la superficie rasée et commencèrent à ramasser le blé en bottes que des charrettes et des ânes emportaient aux aires de battage dans le terrain inculte. Le crissement des grosses roues, qui enfonçaient, la terre ne cessait pas, tout comme les sabots qui la cognaient. Quand se leva le soleil, les notables arrivèrent et passèrent près d’une heure à charger les charrettes, et fatigués, ils se retirèrent à leur endroit de détente. Ils étaient tous âgés et surveillaient leur santé qui n’était pas excellente, d’ailleurs la prospérité ne leur demandait pas plus. Mais ils furent tôt remplacés par les enfants qui se donnaient une réelle récréation, après deux heures d’apprentissage de Coran que leur dispensait de façon ennuyeusement dogmatique le taleb, en se servant de son bâton, pour corriger les élèves médiocres ou ceux qui faisaient du chahut.
Le travail était réellement sacré pour ces gens qui déployaient sans faillir leurs efforts et donnaient leurs cœurs pour récolter les fruits de la terre qu’ils aimaient d’un amour fou, parce qu’elle leur fournissait les moyens d’existence, leur demandait en retour qu’on la traitât avec douceur attentionnée, qu’on y préservât l’équilibre pour la survie du monde, dans lequel vivaient tant d’hommes et d’animaux. Les bêtes partageaient aussi cette ambiance joyeuse et le montraient à leur façon que seuls les avertis puissent déceler. C’était un réel plaisir de voir les ânes jeunes, chargés de leur faix, courir sans être aiguillonnés aux flancs. Ils galopaient interminablement sans vouloir se reposer, ni tricher comme on s’amuse tant à les incriminer. Ils éprouvaient du plaisir à faire la course, comme s’ils ressentaient une petite fierté. Mais, un vieux bourricot était moins emballé et donnait l’impression de tricher. Il trottait et essayait parfois de faire comme ses frères. Mais il n’en avait pas la force ; indigné et fatigué, il tomba à terre, ses gros yeux en larmes. C’est ainsi qu’Elien le naturaliste grec vit les ânes, à petite taille, de la Numidie et dont il nous laissa un portrait assez expressif :
« Ils allaient comme le vent et on eût dit de grands oiseaux avec leurs ailes. Mais ce premier élan de jeunesse passé, leur souffle devient moins fort, leurs pieds s’engourdissent ; ils oublient leur vitesse d’autrefois et ils pleurent, non parce que leur mort est prochaine mais parce que leurs pieds sont devenus sans force ».