Abdelkader Ben Abdel Moumen fut, pendant dix ans (1882/1891) martyrisé par le maire de Meliana, Pourailly, pour une propriété foncière d’un mineur indigène dont il avait la garde et qu’il refusait de lui vendre. Pourailly l’accusa de menées anti françaises et de malversations sur la base desquelles des enquêtes judiciaires et administratives furent diligentées en juin 1882, en novembre 1883 et en janvier 1884. Toutes aboutirent au non lieu au bénéfice du cadi. Une nouvelle information judiciaire introduite en novembre 1884 fut encore rejetée. Pourailly, qui en était le principal instigateur, fut révoqué en mars 1884 pour malversations ne fut nullement inquiété par la justice. Il part à la reconquête du pouvoir aux élections communales et il est réélu en 1885 maire de la ville. Il n’abandonna pas ses attaques contre le cadi et il introduisit une plainte à son encontre à la préfecture, aidé cette fois-ci, par le conseiller général Ben Siam. Une enquête administrative fut une nouvelle fois diligentée par le conseiller Vialar qui l’innocenta. Une autre plainte en 1887 fut intentée pour détournement de sommes. Celles-ci furent trouvées en caisse du cadi qui fut innocenté. Face à son intégrité infaillible et mise à rude épreuve, ses ennemis ne désarmaient pas et faisaient tout pour le déchoir. Ainsi, le procureur ouvrit une information judiciaire en janvier 1888. Le juge d’instruction, Ebert, de Meliana, trouva un stratagème pour effectuer de basses manipulations et signala l’impossibilité à découvrir des preuves. Le magistrat musulman fut donc suspendu pour six mois. Drôle de justice appliquée aux Indigènes ! Le juge Ebert incita les indigènes à porter plainte contre Abdel Moumen qu’il arrêta et fit ramener dans son village, les menottes aux mains le 29 mai 1889. Le bâtonnier Mallarmé prit sa défense, alors sa gestion de 26 ans fut passée au crible par les enquêteurs qui la trouvèrent saine. Il fut remis en liberté et la procédure du juge d’instruction Ebert annulée. Mais encore la drôle de justice appliquée aux Indigènes ! Il fut interné administrativement à Alger, puis nommé à Médéa.
Enfin, le cadi fut autorisé à aller dans sa ville de Meliana, mais il fut expulsé par le maire Pourailly. Souhaitant revenir à Meliana, il adressa une requête au Gouverneur, au Président de la République, au Sénat, au sénateur Issac dont voici la teneur : « Pourailly escomptait sa nationalité de Français pour se placer au-dessus des lois. Je n’étais qu’un indigène arabe, cela suffisait. Je n’avais jamais cru qu’aux yeux de l’autorité supérieure lorsque le bon droit d’une partie était éclatant il y eut encore cette différence de Français et d’Arabe. Mes coreligionnaires me disent : regarde à quoi t’a servi de rendre pendant vingt six ans la justice au nom du gouvernement français ». La presse métropolitaine avait dénoncé les scandales algériens. Le sénateur Mauguin soutint Pourailly au sénat et son journal la Vigie algérienne et poursuivit sa polémique jusqu’en 1893. Sur le plan judiciaire, la cour d’appel d’Alger rendit un arrêt en 1896 et disculpa le cadi de toutes les charges et proclama l’intégrité du cadi en rendant compte de l’expertise qui avait examinée la gestion portant sur 16.000 actes sur plus de 400 successions dont l’actif dépassait un million de francs.
Le lecteur universel, qui vit quasiment sous l’empire de la justice des hommes, doit se demander ce que signifie l’internement administratif. C’est assurément quelque chose qui échappe à la justice des hommes. Le pouvoir conquérant français, qui s’était heurté à une résistance longue et farouche du peuple pendant quarante ans, s’était placé au-dessus des lois des hommes, au-dessus des lois naturelles de la préservation et de la l’auto-défense. Il recourut à ce procédé pour échapper aux lenteurs et tracasseries de la justice, sans se formaliser du droit sacré des hommes à se défendre. Domination, sécurité. Equation complémentaire indissociable. Tôt, le problème de la sécurité s’était posé pour coloniser le pays après la guerre de 1871, car le pouvoir colonial ne parvenait pas à asseoir son autorité. Le pays n’était nullement pacifié. Si la majeure partie des armes avait été déposée à l’autorité militaire, il n’en demeure pas moins qu’une grande partie restait chez leurs propriétaires indigènes qui les conservaient pour se défendre ou les avaient cachées pour un besoin ultérieur. Les colons revendiquèrent dès cette période la responsabilité collective et la sécurité. Voilà qu’en 1879, le gouverneur général Albert Grévy, répondit en partie à leurs doléances et décida d’interner les indigènes récidivistes dans les pénitenciers militaires. Ces résidents travaillaient le jour dans les fermes coloniales gratuitement et la nuit, ils dormaient dans leurs prions. Ils y écopaient deux ans en général dans l’une des quatre prisons militaires : Ain El Bey, Bou Khanifis, Lalla Aouda, Ain si Belqacem.
Cette mesure d’internement administratif était une peine qui frappait les indigènes dont les agissements portaient atteinte à la souveraineté française. Elle s’appliquait en dehors du droit, une peine hors la loi, car aucun texte législatif ne la prévoyait. Elle évolua dans le temps de façon comique et tragique et fut exécutée au dépôt de Calvi, en Corse, dans un pénitencier en Algérie et même (quel humour macabre) dans une tribu ou un douar où le prisonnier était astreint à résider. Cet internement administratif intervenait par ordre écrit du gouverneur général qui le rapportait aussi par ordre écrit. Cette pratique était courante à la satisfaction des colons qui souhaitaient la voir appliquée plus fréquemment, comme indiqué ci-après dans les procès verbaux des délégations financières en 1898 : « La peine de l’internement, appliquée par le gouverneur général dans le cas où l’action de la justice est impuissante en raison de surprises de procédure, de faux témoignage ou d’autres causes, constitue un moyen efficace dont peut-être, on pourrait faire un emploi plus fréquent… » ( p. 318 législations algériennes T.1 Ferdinand Dulout)