L’internement en question.
Les colons étaient fortement préoccupés par le retour des acquittés dont ils pressentaient la menace. Les hommes, qui revenaient, avaient été injustement inculpés et ils avaient écopé presque deux ans de prison, abandonnant pour la plupart d’entre eux leurs familles dans le dénuement le plus total. Cependant, les colons leur éprouvaient une haine féroce et un sentiment de vengeance profond, aussi paradoxal que cela fût. C’est dans la nature des choses que le pouvoir et l’argent changent l’homme et le déshumanisent. Ils étaient les maitres du pouvoir, des banques, de la terre, de « l’indigène » lui-même. Ils prennent l’initiative et annoncent précocement leur combat, avant l’arrivée même de ces citoyens libres, du moins comme les a qualifiés ce haut cadre de la préfecture de Montpellier. Ils choisissent une délégation pour mener les pourparlers avec le gouvernement général dès le 10 février. Elle est sous la coordination du maire de Meliana, le tyran Pourailly. Elle est reçue par le secrétaire général Varnier à qui elle présente ses craintes sur les incidents futurs entre les colons et les Arabes. Puis, elle requiert l’internement pur et simple des acquittés. Le secrétaire général répond que cela est impossible. Alors, il eut droit à de violentes protestations. Le gouverneur général le désavoue et assure cependant que les acquittés seront tenus à l’écart du village. Leurs revendications n’étant pas satisfaites, ils lancent leur machine de propagande. Les journaux de la colonie, qui critiquent de façon acerbe le verdict et les « névrosés » de Montpellier. (18)
Le gouverneur général, Révoil, est connu pour son sens de diplomate et aussi sa trop grande sympathie avec le parti colonial pour lequel il est totalement inféodé. Il a satisfait à une revendication majeure des colons que ses prédécesseurs n’avaient jamais osé adopter, ni Albert Grévy, ni Jonnart. Il est à l’origine du décret instituant les tribunaux répressifs par décret de 1902, soit après l’insurrection de Margueritte. C’est dire qu’il ne tient pas dans son cœur les musulmans algériens. C’est un colonial de conception et par conviction. Il est aussi l’homme du parti colonial dont il partage les mêmes visions politiques, notamment autonomistes. En effet, l’institution des Tribunaux répressifs ne prévoit pas d’avocat ni le droit d’appel pour les indigènes qui désormais ne sont plus justiciables du Droit pénal français. Il est décrié par la presse métropolitaine pour son gout au régime d’exception et de favoriser jusqu’à l’extrême limite du possible les colons qui ont trouvé enfin l’exécutif de leur politique. En retour, il est soutenu par le parti colonial, ce groupe de pression composé par deux-cents parlementaires, ainsi que des journaux coloniaux qui ne tarissent pas à en brocarder le portrait. Mais les vents ont tourné. Émile Combes succède au président du Conseil Waldeck-Rousseau. Il manifeste sans tarder sa volonté de le démettre pour le fait d’avoir représenté les colons, mais pas l’État français. Il songe d’abord à Pichon, puis à Jonnart qui fit savoir qu’il serait heureux de reprendre son poste de gouverneur général. L’occasion lui fut fournie par des internements à l’encontre des acquittés que Révoil avait prescrits.
Me L’Admiral qui se trouve en France est avisé que des internements ont été prononcés à l’encontre de plusieurs acquittés. Surement, il tient cette information par Victor Barrucand, directeur du journal Al Akhabar. Ce défenseur intrépide triomphant va devoir s’impliquer dans cette nouvelle lutte, alors que son contrat d’avocat avec son client Yakoub a cessé d’avoir d’effet, à l’énoncé du verdict d’une part et d’autre part son mandant ne s’est pas pourvu en cassation. Alors, dans quelle circonstance va-t-il agir ? Cette question intéresse les parlementaires et les hommes politiques puissants, tandis que lui, il remplit une simple mission élective de conseiller général, sans pouvoir ni influence. Comme c’est un militant par nature, il va mener son combat dans le cadre des Droits de l’Homme. Ce nouvel engagement de sa part montre sa grandeur d’âme et son militantisme pour les causes justes.
Il quitte Montpellier et rentre à Paris avant le 10 février pour une entrevue avec le Président du Conseil Combes, sur recommandation du sénateur Georges Clemenceau, qui y assiste également, ainsi que l’historien du Droit Paul Viollet (19). Il expose les différents points soulevés par l’affaire Margueritte et a protesté énergiquement contre les mesures d’internement annoncées à l’encontre des acquittés. M. Combes, ce docteur en philosophie, écouta avec attention particulière son hôte. Il a en outre promis au député Baron de consacrer une session parlementaire réservée à la situation en Algérie, à la lumière de l’affaire de Margueritte, sauf que cela se produira après le vote de la chambre sur l’interdiction aux congrégations de continuer à dispenser l’enseignement aux élèves. Il fit adopter la loi en question, sans grand-peine. Ce triomphe le mènera plus tard à voter la loi sur la séparation de l’Église et de l’État. Donc, c’est une forte personnalité à la politique claire et aux méthodes efficaces. Le problème que lui soumet Me L’Admiral constitue son premier acte de gouvernement important. Aussi, il télégraphie immédiatement au Gouverneur général au sujet de ces internements. Celui-ci dément bien sûr et donne une réponse :