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crise anti juive Algérie Ahmed Bencherifc

« Le cyclone commença à souffler à Oran le mois de mai passé, sous l’impulsion de cyclistes européens, en casquettes et en shorts, qui travaillaient leurs performances, en vue d’une prochaine compétition, qui devait se dérouler entre Oran et Mostaganem, dont l’itinéraire contournait la montagne des lions, traversait un maquis fleuri, où dominent les genêts, les lentisques, les cistes (diss) et longeait le littoral. Ils étaient une cinquantaine de sportifs à évoluer au matin, sur un parcours en pente et en côte de huit kilomètres environ, sur le front de mer. Ils revenaient de Canastel et débouchèrent sur la place d’armes où les avait accueillis une forte délégation municipale, qui délirait de joie et sonnait les clairons des hostilités ».
Sur le perron de la mairie, le conseiller municipal X, anti-juif, les harangua et les incita à descendre dans le quartier juif tout proche, sous de ferventes acclamations et de forts encouragements de ses pairs et de quelques concitoyens. Les cyclistes ne se firent pas prier et se détournèrent de leur noble discipline pour assouvir leur vilain désir de vengeance, motivé par une haine sans bornes. Leur incursion intervenait à un moment où la tension sociale prenait des proportions effarantes, sous la tyrannie des municipalités qui se comportaient à la manière des djemaa ancestrales, jalouses de leur propre autonomie et répulsives à une tierce ingérence. Ils abandonnèrent leurs bicyclettes et partirent à l’assaut du quartier juif dont les magasins étaient ouverts. Ils étaient déchaînés, frappaient à coups de pieds les portes, faisaient des gestes obscènes, bousculaient les uns, molestaient les autres.
La très belle ville devint en très peu de temps une sale ville, sans civisme, ni humanité et dont les bars et les hôtels, les administrations et les casernements bouillonnaient de colère d’un autre âge où l’homme se prenait pour le dieu tout puissant. La terreur et la barbarie frappaient cette communauté décriée pour les torts de son temps et honnie pour sa race : de grands malades juifs, très pauvres, qui se faisaient soigner gratuitement dans les hôpitaux publics furent expulsés dans un état de santé assez grave; des enfants furent chassés des cantines scolaires en violation des règles pédagogiques primaires ; des policiers municipaux furent révoqués de leur travail et se retrouvèrent sur la paille ».
El Hamel assumait le rôle du chroniqueur dont la compagnie était recherchée au café maure. Il lisait beaucoup de journaux et donc il suivait l’activité politique du pays. Il était un bon raconteur. Il haussait ou baissait le ton de sa voix, quand cela était nécessaire, pointait de l’index un personnage fictif, répétait les phrases choc. Il donnait des nouvelles fraiches sur les différents antagonistes dont il montrait de façon très imagée l’importance et l’influence sur l’échiquier politique. Hamza trouvait en lui un maitre, ou plutôt une caisse de résonnance de ce qui se passait dans sa chère patrie. Plus, il l’écoutait, plus il devenait irréductible, engagé dans son mouvement insurrectionnel. Il voyait en lui un autre Haidar, théoricien cependant. El Hamel lui demandait s’il assimilait bien, s’il imaginait les acteurs dans l’action. Hamza hochait de la tête en guise d’acquiescement, souriait et le priait de continuer son cours qu’il trouvait magistral. Le raconteur se faisait un devoir d’expier sa faute de naturalisation :
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« Des foules d’Européens, qui n’obéissaient qu’à leurs instincts, partirent alors en guerre contre le quartier juif, en un seul mouvement qui n’avait rien d’inopiné, en plusieurs processions qui se succédaient en hordes maléfiques. Elles conquirent le quartier bas, le quartier haut, les cernèrent, les assiégèrent et la sale besogne commença : des magasins furent défoncées, pillés, saccagés avec une rare bestialité ; des maisons furent violés et leurs occupants, chassés à coups de matraque, Ils se donnèrent le mot et criaient : « Allons nous réfugier dans les quartiers des Arabes qui nous protégeront ». Ils remontèrent la rue des Jardins, traversèrent le boulevard Saint Pétersbourg, remontaient toujours et débouchèrent au premier quartier indigène populeux de Ras Al Ain, au pied de la montagne Santa Cruz. Les Arabes leur offrirent leur protection, les firent entrer chez eux, prirent leurs gourdins qu’ils firent siffler en l’air, chargèrent les colons qui rebroussèrent chemin, jambes aux cous.
Dans cette ville qui s’entredéchirait, prêchait l’intolérance honteuse et la perversion, la police ne faisait rien, regardait avec plaisir, laissait faire en éprouvant de la jouissance. Les agents s’enivraient du spectacle, attisaient les fureurs, enhardissaient les timorés. Ils oublièrent qu’ils avaient fait un serment sacré à la république pour maintenir le bon ordre, pour combattre l’anarchie et faire régner la justice, garantir la liberté de chacun, la sécurité de chacun, ils oublièrent qu’ils formaient un garde-fou de chaque société et qu’ils devaient l’empêcher d’aller à la dérive. Un accident fit d’eux ce qu’ils étaient, ils n’aimaient pas leur noble métier et n’avaient aucune vertu pour l’exercer, ils remplissaient seulement leurs vacations et attendaient avec une fébrile impatience leurs pécules prélevés sur les honnêtes contribuables.
Le mal s’était propagé hors de la ville avec une vitesse surprenante, comme si les émeutes eussent été préméditées, il avait rapidement embrasé de nouvelles villes de l’Oranie et le télégraphe était là, pour amplifier les fraîches nouvelles de la colère populaire : Tlemcen, Mascara, Mostaganem, Ain-Témouchent, Tiaret, Saint- Denis du Sig, les villages de la banlieue d’Oran n’en réchappèrent pas. Toujours la même bestialité, les mêmes terreurs, les angoisses et les peurs. Le mouvement prit de grandes forces, se radicalisa, faisait sa basse besogne, pratiquait le mal dans l’impunité totale. Les colons orchestrèrent de la manipulation, recrutèrent des casseurs indigènes, apolitiques et abrutis, souvent miséreux. La loi était tombée et l’armée que poursuivait l’ombre de Dreyfus restait au-dessus de la mêlée, n’intervenait que timidement pour stopper le carnage, ce qui était vu par l’opinion publique comme étant une complicité : comme par hasard, les Tirailleurs qui furent envoyés à Mascara pour maintenir l’ordre ne trouvèrent rien de mieux que de s’en prendre à la synagogue, ils obéissaient aux ordres de leurs supérieurs.
Les vents soufflaient aussi contre toutes envies des vaisseaux, le mouvement prit une autre tournure que ne prévoyaient pas les colons. Les Indigènes n’étaient pas assez dupes pour être manipulés et prendre part à un conflit qui ne les concernait pas, ils n’étaient pas assez naïfs pour se tromper d’ennemis. Plus de mille mécontents le firent nettement savoir et attaquèrent les villages de Cassaigne, de Sig, Lapasset, Bosquet et ciblèrent seulement les colons. Ils menaient leur propre révolution, une rébellion comme il y en eut tant. Ils tentaient de se libérer du joug colonial, ils faisaient mal à leur occupant, lui rappelait le caractère éphémère de son occupation ; c’était un cri de guerre auquel avaient répondu des masses. Des ouvriers agricoles abandonnèrent la bêche dans les fermes coloniales et déclarèrent à leurs patrons qu’ils ralliaient les rangs des insurgés pour faire la guerre à Saint-Denis du Sig.

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