Chapitre 2 L’instruction judiciaire
Incroyable que cette révolte circonscrite à un douar, faiblement peuplé et quasiment pauvre, eût incité les autorités coloniales à mobiliser une aussi importante force militaire pour mener une vraie guerre. Une opération de simple police aurait suffi, d’autant qu’elle était maitrisée au bout de cinq heures. Il y a des éléments d’appréciation qui restent du domaine du secret stratégique. En tout cas, nos doutes sur la véritable tribu insurgée se confirment, comme nous le verrons dans les développements qui suivent. Et là, nous pourrons qu’exprimer notre étonnement qui soulève maintes interrogations. Le fait de charger trois torpilleurs à surveiller les côtes d’une région toute proche, du foyer insurrectionnel, au demeurant réprimé, n’est pas anodin. Comme, il ne peut pas découler d’une indigence intellectuelle de la grande armée occupante dont nous connaissons l’intelligence, le sang froid et la stratégie qui la caractérisent.
- Battues.
Une fois alerté, le haut commandement militaire réagit promptement pour semer la terreur, non seulement au sein des populations de la région, toutes tranches d’âge confondues, sans distinction de sexe ni du degré de validité. Le chef du 19ème corps d’armée, le général Paul Grisot, recommande ou enjoint des ordres chiffrés ou oraux pour sévir pour sévir promptement, durement et rapidement. C’est le laisser faire, le lâcher aller que chaque officier ou sous-officier doit lire entre les mots. Le commandement militaire connait fort bien la nature frustre, le tempérament impulsif et le caractère bestial de ses soldats qui sont pour la plus part des auxiliaires de l’armée, des indigènes dans leur ensemble, enrôlés dans les différents corps de tirailleurs, de Zouaves, de chasseurs d’Afrique qui ont guerroyé partout dans le monde, sous les couleurs françaises, que cela fût au Mexique, en Crimée, à Madagascar, et pire en Algérie, dès les premières années de la conquête française.
- La terreur
Ainsi, 800 soldats sont lâchés dans le relief montagneux du Zaccar, qui surplombe la plaine du haut Chélif au Nord, formé aussi de plusieurs ravins. Il est essentiellement forestier et occupe une superficie de 90 kilomètres carrés. Son point culminant atteint 1.554 mètres d’altitude. La surface de ratissage pour un miliaire est de 8 kilomètres carrés, ce qui est une vraie partie de plaisir, une ballade meurtrière dont il vient à bout sans la moindre des peines. Cependant, le territoire de la tribu des Righa n’atteint pas 10.000 hectares. C’est dire que la machine répressive est requise pour écraser, traquer, sévir sans loi ni foi. C’est la guerre contre des populations civiles. Elle est presque totale, sans quartier et avec les plus tragiques abus.
- Tranches d’âge
Une seule directive fut donnée au commandement de l’opération : ramener les individus âgés de 15 à 65 ans. La question, qui mérite d’être posée, réside dans le fait que des adolescents ont été arrêtés. Selon la philosophie de l’armée française, c’est qu’ils sont capables de tuer, puisqu’ils sont en âge d’être enrôlés. D’ailleurs, beaucoup d’adolescents français ont servi sous les couleurs françaises, notamment dans la guerre franco-prussienne. Pour répondre au manque en effectifs, ils servaient dans les unités au front et s’ils faisaient acte de bravoure, ils étaient cités à l’ordre de l’armée. Cette mesure incitative encourageait ces garçons à servir sous les couleurs. Ceci n’était pas exclusif à l’armée française, mais bien d’autres pays l’avaient fait pour répondre aux besoins de la guerre, ou plus précisément aux fantasmes des hommes politiques. Comme on a si bien dit : le politique déclare la guerre et le militaire la fait.
- Les abus
Les soldats agissent avec la plus grande des ignominies et pratiquent la politique de la terre brulée. Ils saccagent, détruisent, éventrent les sacs d’aliments et de céréales, renversent et brisent les cruches et les assiettes en terre cuite ou en porcelaine, fiers d’eux-mêmes. C’est le règne de la terreur, sur fond de barbarie. Les femmes et les enfants fuient leurs gourbis, abandonnent tout derrière eux, petites monnaies et bijoux. Les hommes essaient de se sauver lamentablement : ceux qui sont valides quittent les lieux à la recherche d’un endroit sûr. Des femmes et des filles sont violées sans honte, ni gêne. Elles ne trouvaient nulle part un refuge pour échapper à cette barbarie. Quasiment les gourbis et la forêt représentaient un danger certain, à tel point que cinquante autres femmes s’étaient cachées dans un ravin presque inaccessible. Combien elles étaient ces pauvres malheureuses qui portaient à vie cette offense ? Elles souffraient terriblement de cet affront, désormais gravé sur leurs fronts. Les pauvres éprouvées gardaient jusqu’à la mort le secret, sans espoir pour elles de libérer leur conscience auprès d’une voix compatissante et compréhensive. Car elles passaient toujours pour suspectes.
Des hommes étaient tués sans sommation, au seul indice apparent qu’ils portaient l’habit arabe, comme des journaux l’avaient cité, tels que AlAkhbar, La Dépêche, Les Nouvelles et La Patrie pendant ce tragique mois de mai qui semblait être à ces victimes une éternité. Trois indigènes blessés gravement, laissés pour morts dans les broussailles, sont au moins recensés. Car, ils ont été achevés par les colons, au lieu de les emmener à l’infirmerie pour recevoir des soins d’urgence.