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Mohamed Benrahal extr Marguerite ahmed bencherif

         Au premier étage, les hommes étaient moins ambiants, leurs causeries étaient sereines et instructives. L’illustre si Mahamed Berrahal tenait la tribune. Il portait un beau costume traditionnel : un double turban, l’un blanc et transparent, l’autre jaune doré, gilet et gandoura tout en soie de couleur claire. Son teint était blanc, son visage émettait de la lueur, sa barbe était peu fournie, ainsi que ses moustaches. Ses yeux noirs veloutés diffusaient un regard intense et profond, qui mettait mal à l’aise son interlocuteur dont il obtenait vite l’obéissance ou l’assentiment. Sa stature impressionnante s’imposait comme un hercule habillé en tribun, mais impassible et résolu, forgé dans l’adversité, sans peur et respectueux, poli et sans arrogance. Ses mouvements pondérés mais prompts le distinguaient en chevalier en campagne. Cette nature ne cachait pas son ascendant sur les femmes, car il était beau et séduisant, passé la quarantaine de peu. Son physique faisait couler l’encre de ceux qui le haïssaient et faisaient tout pour lui nuire : c’étaient des colons d’influence notoire, tel Charles Geniaux qui versait dans la pure délation et le traitait parfois admiratif malgré lui et souvent désobligeant :

     « Cet Abencerage algérien, ce séduisant des parisiennes, ce buveur de champagne, ce converti mystique brusque qui se maquillait au kohol ».

       Bien sûr, Si Mahamed, lettré bilingue, dérangeait le pouvoir en Algérie. Toute sa vie, il appela à l’émancipation de l’Islam et exhorta la France à civiliser les Indigènes, en leur ouvrant les écoles, les medersas, des infirmeries, en leur garantissant le droit au travail, en luttant contre les fléaux qui faisaient des famines, en respectant leurs coutumes, leurs valeurs et leur civilisation, en leur octroyant la représentation politique, capable à elle seule de les défendre contre les appétits féroces des colons. Les libéraux français l’écoutaient et en tiraient profit de ses conseils pratiques, de son érudition sur la culture arabe et musulmane. Ses coreligionnaires lui vouaient une admiration de culte, du moins ceux qui le connaissaient ou en entendaient parler. Lui-même ne ratait aucune occasion pour les sensibiliser sur la nécessité d’instruire leurs enfants en Arabe et en Français, de faire confiance à la France, première puissance mondiale qui les dominait, car elle avait aboli le pouvoir absolu et s’était dotée d’institutions démocratiques qui géraient les affaires. Comme toujours, il n’hésitait pas à déclamer haut et fort ses opinions qui dérangeaient le parti colonial, très hostile aux Indigènes :     

         « Le jour où la France a planté son drapeau sur le rivage africain, elle a pris l’engagement tacite de se consacrer à la civilisation et à l’émancipation du peuple qu’elle venait de conquérir. Sous peine de déchoir, elle doit tenir parole. Le Musulman défend son foyer, sa patrie ? Ce n’est pas le patriotisme qui le guide, mais la sauvagerie. Se montre-t-il courageux ou héroïque ? C’est un fanatique. Se résigne-t-il, une fois vaincu ? C’est un fataliste. Ses prêtres chantent-ils des prières ? Ce sont des hurleurs. Dansent-ils ? Ce sont des tourneurs. Sa musique est une cacophonie, sa famille est un sérail, sa civilisation, un plagiat, son prophète, un imposteur. Et ainsi tout, absolument tout ce qui concerne l’Islam est systématiquement dénigré, ridiculisé ou avili, sans avoir jamais été connu ».

 

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