Le Père Nardi extr Marguerite Ahmed BECHERIF

L’église était au cœur du village, comme l’était le Christ au cœur des Chrétiens. Son bel ensemble architectural gothique et musulman initiait aux méditations philosophiques sur le rapprochement des peuples. L’homme, cet éternel incompris, s’ingénie à assembler les matières et échoue à assembler les vertus. Sur un fond de mosaïque africaine, la Vierge Marie purifiée, la lalla Meriem (Marie) sanctifiée, était émouvante, son enfant dans ses bras. Le crucifix chagrinait les âmes dont quelques unes, prises d’attendrissement, versaient un ou deux pleurs. Les cierges étaient allumés et l’encens exhalait son parfum. L’atmosphère était chaudement pieuse et les fidèles prenaient un air d’innocence pour demander le Pardon. Elle rappelait, en outre, le perpétuel combat entre le tentateur et la sagesse. L’orgue, qui était une récente charité de la mère de Fernandez, émettait ses notes plaintives et fortes.

 

              Vêtu de soutane blanche et auréolé d’un long chapelet qui retombait sur sa poitrine, le Père Nardi officiait la cérémonie. C’était un homme de grande piété qui suivait l’évolution de son temps et augurait même sur l’avenir. Par des paroles pondérées, sa verve intarissable abordait les différents maux de la société. Rien n’échappait à son esprit clairvoyant, ni l’adultère, ni une autre infamie. Il savait pourtant qu’il nageait à contre courant et que l’Etat moderne oeuvrait pour le progrès et son corollaire, l’émancipation des mœurs, comme si les deux dimensions, tenues pour indissociables par nature, formaient un seul rail, sans lequel le train déraillait infailliblement. L’homme moderne tendait de s’affranchir de la décence, de donner libre cours à ses instincts, moins pudiques que ceux des animaux qui, pour leurs accouplements, opèrent d’un charme recherché et persévérant.

 

        Le son musical se tut, le père ouvrit l’Evangile et invita à la lecture de l’Epître de Paul aux Romains au paragraphe 26 :  

 

        « C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions infâmes ; car leurs femmes ont changé l’usage naturel en celui qui est contre nature ; et de même les hommes, abandonnant l’usage naturel de la femme, sont enflammés dans leurs désirs les uns pour les autres, commettant homme avec homme des choses infâmes, et recevant en eux-mêmes le salaire qui méritait leur égarement »

       « Comme ils ne se sont pas souciés de connaître Dieu, Dieu les a livrés à leur sens réprouvé pour commettre des choses indignes, étant remplis de toute espèce d’injustice, de méchanceté, de cupidité, de malice ».

 

        L’instant était à la repentance. Chacun se jurait de ne plus commettre de mauvaises actions, de préserver vaille que vaille le serment indéniable à Jésus, de suivre l’exemple des Apôtres qui furent accablés de mille persécutions, d’être fidèles aux martyres, combien nombreux, hommes, femmes ou enfants, jetés aux bêtes féroces dans un amphithéâtre bondés de milliers de spectateurs et de courtisanes nues, ou encore décapités, nus, dans les places publiques, déchiquetés en lambeaux entre deux arbres, fouettés à mort aux verges. Le christianisme, qui fut combattu, à outrance par les idolâtres finit par triompher et donna l’espérance aux hommes qui modérèrent leurs mœurs et diffusèrent la vertu, la fraternité et l’amour du prochain. Avec un cœur lourd, le Père Nardi ferma l’Evangile, leva ses deux mains au ciel et récita à haute voix l’espérance de Paul pour réconforter les âmes :

 

       « Que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec vous tous. Amen. Que le Dieu de l’espérance vous remplisse de toute joie et de toute paix dans la foi, pour que vous abondiez en espérance, par la puissance du Saint Esprit ».           

                             

       La messe terminée, on attendit patiemment un moment aussi solennel, le sacrement de deux époux. Ce serment, qui les liait dans la fidélité réciproque, pour la vie, pour la mort, dans le meilleur et dans le pire, était émouvant. Le Père Nardi louait toujours Dieu pour cette coutume qui défiait les ages et qu’il imputait à un sentiment de religiosité vif. Les deux époux étaient très heureux : Madeleine était ravissante dans sa robe blanche ; Gustave était élégant dans son costume bleu. Ils passèrent à l’autel. Là, le curé célébra la cérémonie d’usage et les déclara unis, selon les lois sacrées du mariage. Ils échangèrent leurs alliances et sortirent, suivis par l’assistance qui criait d’émotion : « vive la mariée ! »   

 

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