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Hiziya , essai d'histoire; ahmed bencherif

 

 

 

Hiziya , essai d’histoire  

 

Je dois reconnaitre que l’épopée de Hiziya intéresse un bon nombre d’écrivains, de poètes et de diplomates algériens. Grâce à leurs efforts et leur intelligence, cette épopée est en phase de sortir du cercle restreint de la chanson de loisirs pour intégrer la place qui lui revient dans notre patrimoine culturel. Nous ne cesserons jamais de mettre en lumière sa beauté et sa splendeur, ainsi que son côté tragique. Car elle ne demeure pas seulement une romance d’amour, certes inachevée, mais elle s’attache également à notre histoire, du moins régionale, dans la mesure où le joug colonial français avait frappé de sa main cet amour et avait désuni deux cœurs, faits l’un pour l’autre, qui s’étaient aimés de façon éternelle. Si Hiziya mourut tragiquement, Saayed n’oublia jamais son amour et personne ne sait où avait-il péri, après avoir entamé sa longue errance. 

             Dans cette récupération de la mémoire, nous rendons un solennel hommage à notre écrivain et poète Mihoubi Azzedine qui eut le souci dès l’année 1995 pour en faire une opérette qui eut l’insigne privilège d’être interprétée en salle et présentée au petit écran algérien. Notre hommage est également exprimé à la metteuse en scène Fouzia Ait Elhaj et tous les autres comédiens et assistants. J’ai moi-même intégré dans mon œuvre Marguerite, publiée en France ( Publibook et Edilivre Paris ) cette épopée pour justement entamer un long travail de sa reconnaissance universelle.

 Cependant ce travail n’est pas aisé par manque de sources écrites fiables. Est-ce que celles-ci existent ? En tous les cas, les travaux de recherche ne semblent pas avoir été réalisés. Nous disposons néanmoins d’un texte, en l’occurrence la Qassida, l’ode de cet amour et des versions orales locales de Sidi Khaled, lieu de prédilection de cette épopée, qui ont malgré tout une certaine vraisemblance d’ailleurs elles concordent avec ma propre version de cette tragédie Hiziya. Voilà plus d’un siècle qu’elle est présente dans la mémoire collective et quel Algérien ne la connait pas ! Donc c’est ainsi que naissent les légendes, quand il y a un début de vérité et qu’il n’y a pas toute la vérité. Alors à nous auteurs d’établir cette légende qui traversera tous les âges à venir.

           Dans cette perspective, l’auteur majoré Mihoubi Azzedine nous a convié le 23/8/2015  à la salle Mougar d’Alger pour visionner cette opéra dont la mise en scène a été réalisée par madame Fouzia Ait Haj.  Le travail artistique était de bonne qualité et le texte assez fluide et prégnant.  Il s’en est suivi un débat assez riche, lequel fut couronné par la conclusion de tracer l’opérette dans son contexte social et historique pour plus donner plus d’impact et plus de possibilités de se propulser dans l’universalité.  

          Le débat, qui avait suivi la projection de l’opérette à la salle Mouggar Alger, avait justement pressenti cette ambition légitime pour travailler de concert afin d’atteindre cet objectif de reconnaissance universelle de Hiziya.

          Voici donc un court historique qui ne renvoie pas directement à l’histoire d’amour, mais en retrace l’environnement. 

          Deux tribus rivales ont de tout temps dominé dans le territoire des Ziban, Les Daoudha et les Bengana, toutes deux appartenant aux Beni Hilal qui vinrent au Maghreb central à la demande du pouvoir fatimide. Selon Ibn Khaldou, qui avait séjourné au 14ème siècle à Biskra, les Douaoudhas sont en grand nombre et détiennent le pouvoir économique. Cette tribu, à l’instar des autres tribus influentes, était administrée par son propre émir, choisi par un comité de prétendants. Cette tradition fut respectée jusqu’à l’avènement du pouvoir turque. Ils prêtèrent main forte à Kheridine pour combattre l’expédition espagnole dans l’Algérois. Et il semble que certains d’entre eux s’étaient fixés dans la périphérie de la ville et avait créé un petit bourg qui s’appelle de nos jours les Sakhara. En 1541, Kheredine confirma Sakhri Ibn Aissa Ibn Yakoub dans ses fonctions chef d’un grand territoire qui s’étendait de Constantine à Ouargla et de Ferdjioua et de Medjana jusqu’à Msila et Laghouat. Cependant il remplaça le titre d’émir par Cheikh Elarab, avec investiture officielle par devant le bey de Constantine.

      Les Douaoudhas administrèrent pendant des siècles ce grand territoire dont dépendait également la non moins puissante tribu des Bengana. Ils livrèrent une grande bataille aux armées turques vers 1675 sous l’autorité du bey de Constantine Redjebpour le meurtre de Cheikh elarab Ibn ElKidoum, accusé par le Dey de fomenter une sécession contre les Turcs. Ce fut une grande confrontation armée à laquelle des renforts d’Alger étaient estimés à plus de 6.000 soldats, lesquels furent sous les ordres des caïds Youssef et Chaabane.  Les Turcs furent vaincus et durent prendre la fuite, quant au bey il prit la fuite vers Annaba, puis vers Alger.

       Le cheikh ElArabAhmed Ben Sakhri mourut en 1790 et laissa deux épouses : la belle et terrible Oum Hani, fille d’une captive espagnole et de Rejeb le bey de Constantine, et Radjradjra, fille du cheikh El Hadad, l’auteur de la fatwa de lever les armes contre l’occupant français en 1871. Celle-ci est l’aïeule de Hiziya.

      Ferhat Ibn Sayed est le fils de Radjradjra. Il naquit en 1786 et fut investi comme cheikh elArab en 1821. Il s’engage aux côtés de l’émir Abdelkader pour combattre les agresseurs français. Mais le bey de Constantine le déchut de son titre en 1823 et l’attribua à Bengana, au motif d’une accusation de sécession contre les Turcs. A l’arrivée des Français, les Bengana prirent des alliances avec eux, ce qui leur conféra des privilèges et une puissance illimitée.

Ferhat Ben Sayed mourut en 1842 par traitrise dans un guet-apens fomenté par un certain Kouider Ben NamiBouzidi sur les ordres cheikh El ArabBouazizBengana qui informa le maréchal Valée de ce semblant haut fait d’armes.

     Donc Hiziya et Saayed descendent d’une lignée prestigieuse enviée et jalousée qui a eu ses moments de gloire et de faste. Malgré la beauté de cet amour immense qu’il n’est donné à aucun humain de connaitre, il demeure hélas si peu connu dans les sources historiques ou quasiment inconnu. Aussi les recherches seront harassantes et longues en puisant dans les archives de la Colonie à Aix-en Provence en France ou aux archives miliaires. Nous devons alors nous contenter de la tradition orale dont on fera une base historique solide entre toutefois la légende et la réalité. Oui nous allons consacrer notre intelligence, notre amour pour l’art, notre fierté pour notre patrie pour qui nous écrirons de cette façon une page d’histoire. Dans Hiziya, il s’agit de Hograa et ce mot émeut profondément tout Algérien au point où il est prédisposé à aller au djebel pour venger la tyrannie, préserver sa liberté. Cette opérette gagnera plus quand elle fera justement apparaitre cette oppression coloniale qui a désuni deux cœurs qu’elle a frappé de malheur à tout jamais. Les vérités parlent un moment et jamais elles ne parlent tout le temps. Car seule la légende possède cette dimension de l‘éternité.  

 Deux écrivains surtout se sont consacrés à l'histoire détaillée du sud-constantinois : le Colonel Séroka (dont l'œuvre demeure en grande partie inédite, sauf l'étude des faits de 1844 à 1854 qui a été publiée par la Revue Africaine. L'Interprète militaire Charles Feraud, publia dans la Revue Africaine une étude du  « Sahara de Constantine », qu'il écrivit vers 1879 alors qu'il était Interprète du cercle de Biskra. Il a narré l’histoire des Ben Ghana, leurs déboires militaires, s’appuyant sur des récits oraux qui lui furent fournis à cette époque par Ali Bey ben Ferhat ben Said ben Bouakkaz et par Bendriss, Agha de l'Oued-Rir,
Paradoxalement, l’interprète ne relate pas l’histoire d’amour de Hiziyaqui s’était passée une année plus tôt. Une question judicieuse se pose pourquoi l’interprète Feraud a laissé cette lacune. Etait-ce un oubli volontaire ou un ménagement de la tribu des Benghana pourtant qu’il avait chargée de forts griefs qui pouvaient aller jusqu’à l’animosité personnelle. Selon toutes probabilités, il avait plutôt ménagé l’administration militaire de Biskra dont il dépendait organiquement. Force est de croire qu’il n’avait pas voulu porter ses accusations dont il ne pouvait être à l’abri, par crainte de courroux et par conséquent de sanctions exemplaires à son encontre. En effet, jamais un militaire n’avait été inquiété pour ses crimes contre l’humanité. Pire encore, l’administration militaire encourageait les soldats à tuer davantage durant toute la guerre de résistance qui ne s’acheva pas à l’insurrection des Aurès en 1879. Selon la tradition orale et deux ou trois vers du cheikh Benguitoun, le massacre contre le cortège matrimonial de Hiziya avait bel et bien existé. Et ce cortège ne pouvait être organisé qu’en la forme d’une caravane, comme il était d’usage. Celle-ci ne pouvait être que grande eu égard au richissime et prestige de la tribu des Dhouaoudha.

           Quant au poème de Benguitoun, il ne pouvait établir la vérité, toute la vérité. Car le peuple était colonisé, privé des droits les plus élémentaires, encore moins la liberté de parole ou d’expression.  

        Nous sommes donc face à un mur de silence et notre esprit de création doit le combler pour faire de cette opérette revisitée, une opérette à fort impact et l’engager dans la voie de l’universalité. Heureusement, la bonne volonté et l’esprit créatif sont là pour nous animer et nous guider à faire un travail de bonne qualité.

        Justement l’auteur majoré Mihoubi Azzedine est justement l’homme qu’il faut pour nous engager dans la voie de cette reconnaissance universelle. En effet, le capital relationnel dont il dispose dans le monde arabe est considérable, en tant qu’écrivain d’abord et poète, ensuite en tant qu’ancien président de l’union des écrivains arabes, en tant que secrétaire général actuel de cette même union. L’opérette doit être prégnante, de fort impact sur les esprits. Ce qui revient à dire qu’elle doit ressortir le drame colonial, même si,pour écrire cette tragédie, nous devons nous suffire de deux ou trois vers qui font référence aux soldats et aux goums, ainsi que la tradition orale de sidi Khaled dont je me suis largement inspiré dans mon œuvre Marguerite. Nous aurons alors construit une légende immortelle comme l’est ce grand amour de Hiziya et de Sayed.

       Avant de nous dire que nous allons élaborer cette œuvre immense et magnifique, nous devons nous dire que nous le faisons pour notre patrie dont incontestablement le patrimoine culturel sera enrichi.

        A notre succès commun

 

 

 

Naama le 11 septembre 2015

 

 

Ahmed Bencherif

Auteur de Marguerite

Membre de la société des poètes français

Président de la section locale écrivains algériens

Président du colloque international Isabelle Eberhardt

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