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MARGUERITE TOME2 PAR AHMED BENCHERIF

 

          

    MARGUERITE TOME 2 PAR AHMED BENCHERIF  

 

            

Marguerite

Tome deuxième





Du même auteur :

Marguerite tome premier

Éditions Publibook Paris

Juin 2008

La Grande Ode

Éditions Publibook Paris

Novembre 2008



Ahmed Bencherif

Marguerite

Tome deuxième

Éditions EDILIVRE APARIS

75008 Paris – 2009



www.edilivre.com

Edilivre Éditions APARIS

56, rue de Londres – 75008 Paris

Tel : 01 44 90 91 10 – Fax : 01 53 04 90 76 – mail : actualites@edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction, intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN : 978-2-8121-2191-3

Dépôt légal : Octobre 2009

© Edilivre Éditions APARIS, 2009


                                                                                 1ère partie




Hamza avait passé quatre années d’enseignement à la zaouïa de Meliana dont les vacances annuelles n’excédaient pas dix jours, en période unique. Il avait mûri et grandi, cloîtré dans le pensionnat et illuminé par les études qu’il suivait passionnément, avec un esprit critique qui avait suppléé à sa curiosité naturelle et une détermination qui avait remplacé précocement son rêve. Car la jeunesse est un beau jardin, hélas aux moissons brèves. On pense à perpétuer son nom en faisant des enfants, à travailler pour vivre, à faire fortune et tous les hommes sont, sur ce plan, du même limon et la nubilité est là, pour leur rappeler cette amère vision et les placer involontairement sur ce même chemin que suivit la procréation. Rares sont ceux qui vivent sur cette terre, exclusivement pour leur cause : ils sont des fous, des inconstants, des pécheurs, des bons à rien et leurs allégations ne sont jamais prises au sérieux par les gens. Hamza appartenait à ce genre d’hommes qui vivaient pour leurs idées et les défendaient vaillamment.

Meliana était une commune de plein exercice et, à ce titre, son centre urbain était habité majoritairement par une population européenne. Hamza y rencontrait tous les jours des Français et si l’habitude de les voir en permanence devait se traduire normalement par de l’accommodation, elle avait mu en xénophobie et donc en perception nationaliste. A l’école, il s’était bâti la réputation de rebelle parmi ses camardes dont certains partageaient ses convictions. Il se procurait aussi des journaux clandestins qui l’édifiaient savamment sur la question nationale et la nécessité d’abattre l’état colonial dont la dimension devenait de plus en plus horrible et intenable et, là-dessus, ses propres professeurs ne ménageaient pas leur éloquence. Il avait une sublime admiration pour la ville dont le tiers seulement des terres agricoles furent dépouillées par le conquérant, contrairement aux localités voisines, lesquelles furent saignées à blanc. La baraka du saint y veillait, ainsi que la menace constante du baroud de la puissante tribu des Beni Menacer qui avait plus d’une fois mis en péril la sécurité. Il sut qu’elle rayonnait de culture et avait produit de grands lettrés

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au 13 et 14ème siècle, tels que Ahmed Ben Othmane Elmeliani, poète et écrivain, Ali Ben Othmane Ben Moussa Elmeliani, théologien, Ali Ben Mekki Elmeliani, théologien et juriste.

Il sortit major de promotion, par excellence, dans les premiers jours du mois d’octobre, titulaire d’un diplôme qui lui permettait d’accéder à une chaire de prédicateur et une grande fête fut donnée, par sa famille, pour cette heureuse élévation intellectuelle. Il avait repris son train de vie habituel, partagé entre le magasin et la mosquée où il dispensait bénévolement des cours. Sa forte personnalité s’était davantage affirmée et il avait repoussé gentiment le voeu cher à son père pour le marier à cet age et lui assurer une existence rangée. Il avait autre chose à faire que de s’emprisonner dans la prétendue cage d’or et se proposait de former un réseau clandestin pour la rébellion. En effet, son projet insurrectionnel, auquel adhérait pleinement son ami et camarade de promotion, Ali, devenait irrévocable, une question de vie ou de mort.

Son retour avait coïncidé avec la saison des labours qui commença dans la deuxième moitié du mois d’octobre et il y travaillait depuis deux jours. Les choses ne s’étaient guère améliorées. Les ouvriers souffraient le même dénuement que trahissaient leurs habits indigents de l’ordinaire et leurs peaux desséchées de malnutrition. Leur troupe était cependant moins nombreuse qu’aux moissons. Il y avait moins de bénévoles et point de roulants. Ils étaient une trentaine de paysans à travailler d’arrache pied dans une joyeuse ambiance. Certains luttaient vaillamment contre un sol dur et insuffisamment humide que défonçaient difficilement les socs qui traçaient des sillons dont la profondeur atteignait un pied. Ils poussaient à perdre haleine les charrues que tractaient des boeufs ou des mulets. D’autres nourrissaient la terre : ils portaient en bandoulière un sac de laine, plein qu’ils épandaient jovialement en faisant valser le bras dans un mouvement giratoire formidable. L’enthousiasme des travaux champêtres y régnait toujours, avec la même ardeur, la même joie et les chants religieux éternels.

Malgré les débuts de la saison d’automne, le mois d’octobre est particulièrement chaud et l’on boit énormément, mais l’on n’avait pas besoin de colporteur d’eau. Les dards du soleil sont forts, à tel point qu’ils font mûrir subitement les dattes. Hamza formait équipe avec Karim et Riyahi. Celui-ci gardait une haute opinion de la tribu auprès de laquelle il avait recouvré la mémoire et venait aux différentes saisons, par reconnaissance. Il n’avait plus d’angoisses identitaires, louait le sacrifice de sa tribu enfumée et en était fier et souvent il faisait un petit pèlerinage à la grotte de la mort et honorait la mémoire des siens. Il vivait normalement et ne regrettait guère les souffrances qu’il avait endurées des années durant.

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Il parlait, riait, souriait. Il était redevenu l’humain ordinaire, avec ses propres défauts et qualités. Quant à la bonhomie de Karim, elle ne mourut jamais, comme ses errances à travers les campements, en quête de Ouaada, (fêtes votives) pour échapper aux emprises de sa diète chronique, glaner des nouvelles fraîches, des blagues, des anecdotes. Ainsi, il se conservait et trouvait sa petite place dans la société qui est toujours avide de l’inédit. Il raconta à Hamza que l’éternel amoureux et poète Sayed mourut l’année passée, puis il chanta quelques couplets de l’ode qui avait atteint le sommet de la célébrité et faisait pressentir, aux poètes avertis, la résonance des sept grandes odes arabes.

Le campement n’avait pas non plus la même dimension de grandeur et seulement trois tentes étaient montées ; certains copropriétaires qui vivaient principalement d’élevage avaient regagné le Sahara pour y passer l’hiver et engraisser leurs troupeaux, à l’abri du froid, des gelées et des tempêtes de neige. Celle du moqadem était présente, distinguée par sa générosité. Fatima était venue seule et assumait quasiment seule le service. Il y avait moins de femmes et d’enfants, leurs chahuts étaient moins intenses et cadraient avec la monotonie de la saison. La Douja ne sortait plus à la campagne, fragilisée par la vieillesse ; un pur sang avait remplacé le barbe qui mourut l’année passée ; la nourriture était préparée et servie abondamment de façon rigide par les femmes, comme si celles-ci eussent été dans une popote militaire.

Les derniers arpents emblavés, les ouvriers se restaurèrent en début d’après-midi, dans le petit bois. Ils furent très contents de retrouver Hamza qu’ils sublimaient désormais : chacun lui posait plus d’une question sur sa longue absence, son apprentissage, ses projets. Il leur paraissait fort et docte et sa compagnie était jugée intéressante et instructive par tous. Autour d’un thé, ils l’exhortèrent pour leur donner un cours et les éclairer sur leur religion : « quelle était la meilleure manière de faire les ablutions, comment redresser une prière erronée ? » Hamza répondit que la pratique du culte ne nécessitait pas des connaissances élevées, car les règles sont assimilables par le croyant, quel que soit son niveau intellectuel. « La vie, dit-il, n’est pas seulement vénération, mais aussi civilisation que doit promouvoir l’homme, vicaire de Dieu sur terre et pour parvenir à cette fin, il faut s’instruire et instruire vos enfants dans leur langue maternelle, pour vaincre l’ignorance et toutes formes d’obscurantisme ». Son discours prit du tonus et s’articula principalement sur cette question et dénonça sans équivoque le colon qui oeuvrait à priver les indigènes de l’enseignement de la langue arabe, en confiscant les biens houbous (immobiliers inaliénables provenant des donations de tiers) des zaouïas et à leur fermer les portes de l’école française. Hamza fut un étudiant studieux et assimilait tout ce que

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disaient ses professeurs, y compris les maximes qu’il pensait mettre en application dans la vie de tous les jours. La première tombait à propos en la circonstance et émanait d’un grand penseur arabe, Lokman, originaire de la Nubie, contemporain du roi hébreu David, cité dans le Coran comme détendeur de grande sagesse, instruisant son fils. Elle constitue la dimension universelle de l’enseignement et disait en substance : « apprends ce que tu ne sais pas et enseigne ce que tu sais ». Lokman croyait à l’unicité divine, mais il n’avait pas pratiqué la religion hébraïque, quoiqu’il fût souvent l’hôte de David, que paix soit sur lui.

Lokman avait appris à son fils, Lakchem, plus de sept mille maximes et lui demanda d’en pratiquer quatre seulement pour atteindre la félicité du paradis :

« Maîtrise ton vaisseau, car la mer est profonde, allège ton fardeau, car la fin est certaine, accrois tes provisions, car le voyage est long, exécute ton travail avec vertu, car le Critique (Dieu) observe ».

Au cours d’un séjour aux environs de Mossoul. Son seigneur lui avait demandé d’égorger un mouton et de lui en ramener les meilleures parties. Lokman égorgea le mouton et lui offrit le coeur et la langue. Son seigneur lui demanda d’égorger un autre mouton et de lui ramener les plus médiocres parties. Lokman égorgea un autre mouton et lui ramena le coeur et la langue. Son seigneur en fut éberlué par cet aliment, à la fois bon et mauvais et lui demanda de l’éclairer. Lokman dit alors : « Il n’y a pas plus exquis que le coeur et la langue, s’ils sont de bonne nature et il n’y a pas plus mauvais que le coeur et la langue, s’ils sont de mauvaise nature ». Cet enseignement philosophique lui permit d’être affranchi.

Hamza exhorta à son tour ses auditeurs pour diffuser l’instruction qui différencie l’être humain de l’animal et lui prodigue les moyens de perception du monde dans lequel il vit, l’engage dans la lutte contre la tyrannie et crée les conditions favorables à son épanouissement, sème les grains nécessaires à la renaissance de la civilisation arabe qui avait brillé sur l’univers ténébreux. « En soixante ans de conquête, dit-il, l’ignorance a pris des proportions alarmantes et il convient de conserver notre langue, en pourvoyant chaque douar par un taleb, quitte à en prélever le salaire sur le minimum vital de chaque famille et en défiant tous les écueils que dresse le colonisateur qui s’est comporté avec une rare bestialité en brûlant des milliers de manuscrits de théologiens, historiens, écrivains ». L’auditoire était charmé par l’éloquence, attentif au discours qui ruisselait comme de l’eau douce. Certains analphabètes se sentaient coupables de négliger l’instruction de leurs enfants et se promettaient de tout faire pour ramener des taleb dans leurs douars qui en étaient privés depuis quelques années. Ils étaient pauvres et ils n’avaient pas de ressources suffisantes pour en payer

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les salaires. La pauvreté les avait presque aliénés et ils ne pensaient qu’à manger pour survivre, et il est triste de voir la vie de personnes fragiles se réduire à une nature exclusivement physiologique. Personne ne l’apprécie et certains se disent vouloir vivre avec les pauvres, ce n’est que fausse modestie. Le sage Lokman en est le plus juste : « Mon fils, j’ai goûté toutes les choses amères et il n’y a plus amer que la pauvreté ».

Il fit un cours magistral et les gens, habitués à un discours instructif ennuyeusement dogmatique, l’assimilaient sans peine et s’y intéressaient avec plaisir et émotion. Le taleb, qui était avec eux, cachait mal sa déception et souffrait terriblement de l’audience du jeune lauréat qui avait fait sa prestation avec beaucoup d’humilité, tandis que les quelques notables, présents, fondaient leurs espérances sur cette génération montante qui relevait lé défi de livrer la lutte contre l’ignorance et l’obscurantisme. Le moqadem éprouvait une fierté immense pour son fils qui n’avait pas perdu son temps à Meliana. Sa résolution était acquise pour l’encourager à poursuivre de plus hautes études à Alger, Tlemcen ou Constantine, les trois villes qui avaient leurs propres universités avant la conquête. Il ne se contentait pas du peu pour son fils auquel il espérait d’innombrables qualifications et cela ne le dérangeait pas qu’il lui fût supérieur en sciences et vertus. Noble sentiment paternel exempt de toute vanité !

Aux environs de seize heures, alors que le soleil avait perdu de son ardeur et un vent frais soufflait, les ouvriers empochèrent leurs maigres sous et s’en allèrent par les chemins, tandis que les campeurs faisaient leurs bagages. Deux mulets, chargés de fardeaux, furent éconduits et le carrosse, monté de femmes et d’enfants, partit aussitôt, conduit par Hamza qui éprouvait un immense plaisir. Il tenait les rennes et donnait du leste au cheval qui avançait au trot, dans un chemin raviné par les dernières pluies. Il regrettait que l’impôt versé par les indigènes ne servît pas à leur construire des chemins. La petite troupe arriva joyeusement au village, peu avant le crépuscule. La voiture se gara dans l’enclos et chacun prit sa propre destination.

Hamza passa directement à la mosquée où les élèves l’attendaient pour s’instruire. Il renouvela ses ablutions dans la salle d’eau, fit la prière, dite salut de la mosquée, et rejoignit son auditoire où s’étaient joints quelques vieillards. La charrue l’avait épuisé, mais son amour pour diffuser le savoir et réveiller les consciences lui prodiguait suffisamment de forces et son enthousiasme débordait comme un fleuve sur ses rives. Quelques cours avaient fait de lui un excellent maître, attendu fébrilement, comme un oracle qui vous délivre de vos angoisses, renforce vos convictions et nourrit vos espérances. Le Djicheur Mohamed qui ne manquait pas les séances était fier, d’avoir contribué, d’une certaine manière, au

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jaillissement précoce du sentiment nationaliste de Hamza. Celui-ci avait fort illustré que le pays était dominé par les Français dont la tyrannie barbare n’avait point d’égal et qu’il fallait oeuvrer à les chasser, par tous les moyens disponibles. Il condamna toutes ses voix orientales qui privilégiaient la réforme de l’Islam, avant son propre combat pour sa libération du joug colonial. Il mit en exergue le caractère impérieux du Djihad contre les agresseurs, quelques fussent leur race ou leur religion.

Comme l’Islam se définissait aussi par une idéologie révolutionnaire qui désavouait toutes formes d’iniquité, Hamza n’hésitait pas à s’en inspirer pour être plus près des consciences, notoirement jalouses de leur religion, laquelle ne qualifie pas d’impies, les Chrétiens et les Juifs qui vivent sous sa bannière, mais en sujets respectables. Il est effectivement difficile de tracer une ligne de démarcation entre le sentiment patriotique et le sentiment religieux, sachant que les deux se complètent et parviennent à fusionner. Le musulman doit défendre ses biens, son honneur et sa religion et ceux sont là les trois fondements de la culture arabe païenne et bien des guerres ont éclaté pour l’un ou l’autre, dès les premières origines. La première histoire connue illustre de façon significative le caractère sacré de l’honneur qui fut à l’origine d’une guerre entre deux cités cousines qui descendaient de Tassim et de Jediss, fils de Ben Laoud, Ben Irem, Ben Sem, Ben Noé, le père de l’humanité, lesquels émigrèrent d’Irak et s’installèrent au Bahreïn.

Les Tassim et les Jediss procréèrent et y fondèrent un royaume à Tassim. Au 5ème siècle, avant Jésus Christ. Oumlok de Tassim en était le roi et gouvernait en tyran. Une femme de Jediss, dite Houzeila, fille de Mazin et son mari, dénommé Macheq, divorcèrent et firent appel à sa juridiction au sujet de la garde de leur enfant. Le couple en cause comparut et Houzeila dit : « O roi ! C’est celui que j’ai porté jusqu’à neuf mois, mis au monde à la poussée, allaité deux ans, je n’en ai tiré aucune utilité, jusqu’à son épanouissement et l’affirmation de ses performances, il a voulu me l’arracher de force et m’abandonner sans lui à zéro ». Son mari dit : « Elle a eu la dote complète dont je n’ai rien obtenu, sauf cet enfant paresseux ». A leur grande surprise, Oumlok garda l’enfant pour lui-même, comme serviteur. Houzeila quitta l’audience et dit publiquement son désarroi par un pamphlet qui mettait en exergue l’imbécillité du roi et en dénonçait l’injustice :

« On a comparu par devant un frère, Tassim, il a rendu, pour Houzeila, un jugement inique.

Par ma vie tu as jugé sans émotion, ni assimilation au gouvernement.

J’ai regretté et je ne peux rien changer et mon mari perplexe le regrette »


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Oumlok en eut connaissance et fut courroucé et, pour punir les gens de Jediss, il exigea d’eux de lui ramener toute nouvelle mariée, pour la violer la nuit de ses noces. Afira connut ce sort tragique et, la nuit de ses noces, elle fut accompagnée par ses deux demoiselles d’honneur qui chantaient : « Commence par Oumlok, lève-toi et rejoints ton mari, il n’y a aucune issue pour vos vierges ». Afira fut déflorée contre son gré par le roi ; elle souffrait une douleur mortelle, revint dans sa cité par un jeudi et chanta une poésie déchirante qui incitait à la révolte :

« Est-ce bien pour vos jeunes filles, vous, hommes, aussi nombreux que des sables.

Est-ce bien que vos jeunes filles qui se rendent à leurs maris pleines de sang,

Si après cela, vous n’entrez pas en colère, soyez femmes et faites du Kohol.

Loin des délices des mariées, car vous avez été crées pour les habits des mariées et la lessive.

Maudit soit celui qui ne défend pas, se gonfle et marche parmi nous comme un mâle.

Si nous étions hommes, et vous, des femmes, nous n’aurions pas accepté l’humiliation.

Mourrez dignes et allumez à votre ennemi une guerre chauffée par un brasier ardent.

Ne frémissez pas à une guerre ô gens car, elle se fait par des gens dignes sur pied.

Y mourra le lâche et y survivra le digne et preux »

Afira parvint à émouvoir les Jediss qui étaient sous l’autorité patriarcale de son frère El Assouad Ben Gheffar. Celui-ci les réunit et leur dit :

« O Jediss, obéissez-moi et exécutez ce dont je vous convie, il y’a de la dignité des temps et la disparition de l’humiliation. Vous savez que les Tassim ne sont pas plus dignes que vous, mais la souveraineté de Oumlok sur les siens et les nôtres exige notre obéissance commune, autrement il n’aurait pas plus de privilèges que nous-mêmes. Si, vous ne m’obéissez pas, j’enfoncerai ici même mon sabre dans mon ventre ».

Les Jediss qui étaient moins puissants et moins nombreux que leurs cousins exprimèrent leurs craintes. Mais, leur grand les rassura et dit qu’ils inviteraient les Tassim à une grande zerda et cacheraient leurs épées dans les sables qu’ils sortiraient au moment du repas et les extermineraient ainsi, facilement. Mais, Afira désavoua ce procédé et dit :


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« Ne fais pas cela, la perfidie constitue un affront et un parjure, chargez les gens dans leur cité, vous les neutralisez ou vous mourez ».

Son frère lui répondit qu’il s’agissait d’un moyen tactique qui garantirait la victoire et accomplirait la vengeance de manière efficace. Les Jediss mirent leur projet à exécution et les Tassim furent exterminés.

Le lendemain, au début du jour, Hamza allait cheval, vers le douar de hadj Kadda, où il n’avait pas remis les pieds depuis le mariage de sa soeur. Au-delà du mont Gountas, la plaine était immense, broussailleuse, hérissée de buttes et se confondait, à l’horizon, avec le ciel bleu, ponctué de taches grisâtres. Le soleil surgissait timidement de son antre ; il était beau et vous souriait, drapé de couleurs magnifiques qui ne fatiguaient pas vos yeux et vous invitaient à le contempler et à méditer. Il n’avait pas encore allumé ses chaudrons et la fraîcheur vous comblait d’agréables sensations pour vivre intensément ces moments, dans l’atmosphère douillette des aurores, avec tous leurs attraits. Un lièvre, visiblement heureux, semblait jouer avec engouement, sautait d’un fourré à un autre, et vagissait de temps en temps. Soudain, un sifflement d’aigle le terrorisa et il resta, cloîtré sur lui-même, puis il se lança dans une course folle, en tournant dans tous les sens pour échapper à la mort. Mais, le rapace l’arracha à la vie, en une fraction de seconde, l’emporta dans ses griffes et s’éloigna vers la montagne.

Il n’avait pas revu Zahra depuis presque deux années qui creusèrent en lui un profond sentiment de nostalgie. Elle lui manquait énormément et il n’avait guère voulu attendre qu’elle vînt à la maison familiale, sous l’empire du droit de visite dont l’échéance n’était pas proche. C’était plus commode de lui rendre visite que d’attendre une quelconque opportunité. De plus, il accomplissait un devoir sacré et il avait même acheté des cadeaux pour la mère et son nourrisson. Il imaginait difficilement sa petite soeur, maîtresse de logis, mère d’un bébé de huit mois, le comblant d’affection et le nourrissant de son sein. Cette pensée lui donna une folle envie de rire, mais il s’abstint en se disant qu’il y a un début à toute chose, en ce bas monde. Ses talents équestres étaient accomplis depuis longtemps et il chevauchait sans éprouver de vanité, en ressentait néanmoins un immense plaisir et ne cherchait plus à s’identifier à un quelconque cavalier. Il l’était, fort et confiant en soi-même et en portait l’habit traditionnel qui lui seyait à merveille : un fin burnous et un turban léger qui lui donnaient un grand air respectable. A mesure qu’il avançait vers le sud, le bled sortait de sa solitude et des hommes passaient à pied ou sur une monture et l’on distinguait de proche en proche des troupeaux de moutons, des volutes de fumée monter en spirales, isolées les unes aux autres. Les chemins étroits et foncés à la longue se ressemblaient, se multipliaient, se croisaient, déboussolaient les quidams. Mais, Hamza empruntait les uns, contournait


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les autres, guidé par la grande colline, située à l’est, qui délimitait le territoire du douar de hadj Kadda.

Il arriva à destination dans la matinée et s’arrêta en gentlemen, loin du campement, en dehors de l’enceinte, frontière réputée sacrée en milieu bédouin et que rien ne matérialisait. Les chiens, qui se terraient paresseusement en faisant mine de roupiller, accoururent et s’immobilisèrent au devant du cavalier qui n’avança point. Ils étaient déchaînés et jappaient furieusement, grattaient le sol avec leurs pattes antérieures, simulaient de bondir, résolus à le déchiqueter. Un jeune homme sortit aussitôt de la grande tente et s’écria : « Qui est là ? » Hamza déclina son identité et le jeune homme, le mari de Zahra, rappela les six cerbères à leurs piquets et alla à la rencontre de Hamza qui descendit de sa monture promptement. Les retrouvailles furent particulièrement émouvantes, illustrées par de vives accolades. Hamza emmena son cheval, l’attacha à un arbrisseau, le soulagea de la selle qu’il emporta avec son menu bagage. Il fut reçu dans la grande tente. Elle était jolie, suspendue par des colonnes en bois, basses aux extrémités et ses poils marrons et beiges scintillaient. Ses pans étaient relevés et une brise légère soufflait de partout. Elle était tapissée de couvertures légères en laine rasée de couleurs multiples et des poufs en cuir gisaient hasardeusement sur les côtés. Quelques hommes, dont hadj Kadda, se régalaient en fromage frais, encore tiède, servi en boules moelleuses dans des assiettes creuses. Par bienséance, ils posèrent leurs cuillères, s’essuyèrent les lèvres, se levèrent et embrassèrent le visiteur, puis, ils le convièrent à se joindre à eux. L’accueil fut empreint de courtoisie et d’estime dus aux gens de grande famille. Sans perdre un instant, hadj Kadda dépêcha un de ses fils pour égorger et rôtir un mouton en l’honneur de leur hôte, comme il est de coutume en milieu bédouin. Ah, dit-il à Hamza : « Ta chance t’a précédé ». – allusion faite au repas servi-

Hamza avait l’estomac creux et il se restaura avec appétit, sans se gêner nullement, la timidité étant mal pressentie en matière d’hospitalité. Il était revitalisé et n’éprouvait plus de fatigue due au voyage : son visage s’était coloré d’embonpoint et la saveur exquise des aliments lui restait dans le palais. On lui offrit du thé très fort et mousseux qui dilue les matières grasses. Hadj Kadda se mit en devoir de bavarder avec lui, fait non moins hospitalier. En affichant un grand sourire, il lui fit remarquer qu’il avait grandi depuis leur dernière rencontre qui remontait à plus de trois ans, puis il lui demanda s’il avait appris à jouer au fusil. Hamza hésita de répondre, ses performances en art martial n’étaient pas encore accomplies. Il se sentit diminué, mais il garda son calme surprenant qui ne trahissait point son indigence. Il dit enfin que ses études ne lui laissaient guère le loisir, avant d’ajouter qu’il préférait apprendre jouer au fusil de chasse, qu’au fusil de

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fantasia. Sa réponse rehaussa son prestige vis-à-vis de son interlocuteur qui, le moment de stupeur passé, proposa de lui enseigner cet art, en quelques jours seulement. Hamza, qui n’en attendait pas moins, répondit évasivement qu’il en serait fort heureux. Par une poignée de mains, le pacte fut consacré et le début du stage, retenu pour la journée même.

Tu seras bien servi, dit hadj Kadda. C’est le moment d’aller voir ton petit neveu et sa mère. Nous commencerons les exercices, juste après. Ne t’attarde pas trop ; moi-même, mes mains me démangent. A tout de suite.

Sur ces entre faits, hadj Kadda les quitta. Hamza ouvrit dare-dare sa petite valise, y prit une bourse de bonbons pour les gamins, une robe destinée à sa soeur et un foulard pour la belle-mère, puis il profita pour remettre à son beau frère un porte monnaie en cuir, confectionné par l’oncle Kaci. Les deux jeunes gens sortirent et non loin de là, les bûches pour le rôti brûlaient et quelqu’un oignait la carcasse avec une addition de beurre et de safran. Ils passèrent directement au quartier des femmes qui étaient toutes occupées à faire ceci ou cela. Elles s’arrangèrent les cheveux et les robes, puis vinrent gaiement saluer le visiteur, grandes ou petites, toutes coiffées de foulards, bien portantes et vêtues chichement. Elles l’assommèrent de questions sur la santé de leurs consoeurs, par une manière extraordinairement émouvante, sublime sentiment fraternel de la condition féminine. Deux jeunes filles, pourtant, conservaient une attitude réservée, plutôt timide, se sentant en présence d’un mâle, un mari potentiel. Car, leurs mamans faisaient constamment des allusions au mariage et leur disaient qu’elles étaient le jardin de la vie, à cultiver tôt.

Quelques instants passèrent dans une bruyante animation et Hamza resta enfin seul avec sa soeur qui attendait ce moment avec une terrible impatience. Elle ne l’avait pas revu depuis plus d’une année et succomba vite à l’épreuve douloureuse de la nostalgie. L’anxiété l’étreignait et elle ne put prononcer aucun mot. Son visage s’était embruni et de chaudes larmes roulèrent sur ses joues qu’elle essuya lentement, en préservant de la dignité. Elle n’était pas encore la femme accomplie qui assumait pleinement son devoir maternel et quelque chose subsistait en elle de la jeune fille qui éprouvait le besoin de sommeiller dans le giron de sa grand-mère. Elle considérait son rejeton, comme un don précoce du ciel et subissait la couche de son mari, sans passion, ni plaisir. Son frère en fut à son tour mal à l’aise et lui demanda si elle était malheureuse. Elle répondit par un non évasif et ajouta qu’elle ne parvenait pas à se faire à son nouveau statut familial. Compatissant, il l’entoura dans ses bras, lui chatouilla les pieds et elle rit enfin.

Enfin, petite soeur, j’aime mieux cela, dit Hamza. J’ai horreur de voir les gens pleurer. Cela me bouleverse.

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Petit frère, tu m’as terriblement manqué et je n’ai pu guère retenir mes larmes et l’ambiance douillette de ma famille me tient toujours à coeur. Mes parents viennent de temps à autre et ma grand-mère, jamais. Elle m’inquiète, car sa santé périclite affreusement. Peux-tu demander à mon beau père de me laisser partir avec toi pour passer quelques jours avec eux ?

Mais, tu es femme maintenant et tu as des devoirs à l’égard de ton mari. Il faut t’habituer à ta nouvelle vie. Hadj Kadda est un seigneur et je ne pourrai pas l’ennuyer avec une sollicitation inopportune, combien même je le voudrais. D’ailleurs, il t’aime bien.

Oui. Il me considère comme l’une des ses propres filles et m’appelle la Chérifa (noble).

Dans son foyer, Zahra était entourée d’affection et de cajoleries. Elle conservait de la timidité à tous les instants, nourrissait des craintes à propos de tout. Elle tergiversait à prendre pleinement en charge sa vie conjugale. Pourtant, elle ne manquait de rien, comblée de cadeaux aux diverses occasions des fêtes ou de la saison de la Zekkat (impôt religieux sur le revenu distribué aux démunis) : des robes chiques ou des bijoux. On ménageait ses efforts, on la considérait encore comme la petite princesse, on évitait de la fatiguer au travail de la laine, au ramassage de bois ou encore à porter le plus petit fardeau. Elle était encore frêle et l’on ne chargeait pas de la cuisine qui commence son service aux premières aurores pour finir à la nuit tombante, afin de nourrir une légion de personnes et son nourrisson même était aux petits soins de sa grand-mère. Son mari l’aimait, d’un amour serein qui évoluait au fil du temps, en affrontant les multiples épreuves du quotidien bédouin. Les femmes lui ressassaient qu’il fallait faire beaucoup d’enfants pour empêcher son mari de jeter son dévolu sur une autre femme.

 

 

Hamza et Zahra remémoraient gaiement leurs petits souvenirs d’enfance, quand une fillette vint en courant et dit précipitamment à la petite maman que son bébé, qui pleurnichait, avait sûrement besoin de lait maternel. Zahra parut ennuyé, marmonna des mots inintelligibles, plissa son front : elle souffrait, quand elle allaitait son enfant ; il la mordait et lui faisait mal ; elle ne supportait pas cet appétit féroce, geignait en crispant les lèvres, retirait son sein qui n’était pas généreux, puis elle offrait l’autre. C’était la même torture qu’elle devait endurer pendant deux ans, comme l’avait fait Houzeila avant elle ; c’était la même insuffisance qu’elle cachait à sa belle mère qui aurait pu l’aider à avoir un sein généreux, en lui faisant boire de la garance. Elle mit du temps à réagir, sous l’oeil interrogatif de son frère qui ne comprenait pas ce qu’elle ressentait. Elle se leva contrariée ; son frère lui dit de ramener son petit neveu, une fois qu’elle

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l’aura allaité ; elle courut quand même, parce que sa chair la réclamait, une partie d’elle-même attendait d’être nourrie. Elle revint peu de temps après et portait son nourrisson dans les bras, enveloppé de simples langes. Elle le balançait et il riait, balbutiait, n’exigeait rien qu’une tétée, ne se souciait de rien, ne se souviendrait jamais de sa première enfance et pourtant, chose extraordinaire, il en saurait gré à sa mère. Il était beau, mignon. Son oncle l’embrassa, essaya gauchement de le porter, mais il renonça, puis il lui caressa le menton et le nez : le bébé fit une plaisante grimace qu’imita avec amusement son oncle.

Comment s’appelle le petit homme, dit Hamza ?

Il s’appelle Djillali, selon le voeu de son père, malgré moi, car j’aurai aimé le baptiser sous le nom de Hamza.

C’est le nom d’un grand saint de l’Islam. Espérons qu’il soit aussi pieux et savant que lui.

Zahra avait curé son affliction et Hamza en était rassuré. Il éprouvait le besoin de bouger et d’aller s’exercer au tir. Aussi tint-il à écourter l’entrevue et il lui offrit la robe en soie, de couleurs chatoyantes. Elle la déplia, la mit sur sa taille et en fut ravie. Elle lui seyait à merveille et elle le remercia en arborant un sourire écarlate. Il lui remit ensuite le foulard destiné à la belle mère et la bourse d’un kilo de bonbons, puis il sortit sans tarder. Il retourna à la grande tente, accompagné par une douce senteur renvoyée par le mouton qui rôtissait sur de grosses braises. Hadj Kadda l’attendait sur le seuil, en faisant de petits pas en avant, à reculons, manifestement irrité par l’attente qui lui avait semblé duré plus qu’il n’en fallait. Il fit prestement une subtile réflexion sur le retard engendré par son hôte. Il était fin prêt pour en faire l’instruction, ceinturé de la cartouchière et le fusil de chasse à l’épaule, un vrai fusil de guerre qu’il avait utilisé pendant la grande guerre de 1871. Les deux hommes enfourchèrent leurs montures, cav

Commentaires

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