la colère du peuple extr Margurit t 2 ahm bencherif

- C’est vrai, la question est très grave, dit hadj Kadda. Le peuple en est bouleversé et fulmine, installé sur un baril de poudre qui risque de prendre feu à chaque instant. Ce sera peut être le début d’une nouvelle guerre que la France aura bel et bien cherchée avant l’heure. Le peuple n’attend qu’une occasion pour prendre les armes et rappeler à la France qu’elle est indésirable dans le pays. 

      - Est-ce bien de quitter sa propre patrie, dit Hamza ? Que fait-on de l’amour qu’elle attend de nous ? Elle a besoin de nous pour la défendre, elle a besoin de notre sang pour la libérer du joug colonial. Ne dit-on pas chez nous que nous ne quitterons pas notre patrie malgré les brûlures qu’elle fait ? Ne dit-on point que nous ressemblons à la vipère qui ne quitte pas son territoire, malgré le sable qui brûle ses organes ?

       - Ces familles émigrées s’étaient justifiées en disant qu’elles ne pouvaient pas vivre dans le pays dominé par les impies, dit le cavalier. Elles préfèrent vivre en terre d’Islam, comme des réfugiés selon la charia.

       - Les docteurs de la loi précisent pourtant que l’amour de la patrie résulte de la foi, répondit Hamza. Ils sont formels et aucune loi au monde ne prétend le contraire. Si tout le peuple devait émigrer pour fuir les exactions, le pays serait livré gratuitement à un autre peuple.

       - Tu es encore jeune mon fils et tu ne connais rien des souffrances que les indigènes endurent.

       - Je suis jeune, c’est un fait, mais je connais toutes les oppressions que nous endurons. Nous ne sommes pas des indigènes, nous sommes les fils de notre pays, des algériens.

        Hamza parlait calmement et sans passion. Ses propos concis et précis avaient ému le cavalier qui comprit qu’il se trouvait en présence d’un jeune homme de savoir, éclairé sur la jurisprudence musulmane. Hadj Kadda éprouvait une satisfaction intérieure énorme et pensait non sans raison que les jeunes pousses donneraient leur fruit le moment venu. Il approuvait les propos de son jeune élève en acquiescant par un hochement de la tête. Puis, il dit au cavalier que ce jeune est un lauréat de la medersa de la grande zaouïa de sidi Ahmed Ben Youcef de Meliana. Le cavalier s’exclama brièvement et dit : « les  élèves des medersa sont bien cultivés et incarnent de ce fait un meilleur avenir, ils constituent une menace réelle pour la politique coloniale qu’ils réfutent en bloc et donnent une grande phobie aux colons qui se croient menacés dans leur existence seigneuriale ».

        La culture arrache l’individu de la barbarie, lui prodigue la perception des choses dans leur dimension, trace la ligne de démarcation entre le bien et le mal, l’exploitation et la liberté. Elle est le garant de l’existence saine et représente la conscience de l’humanité depuis la nuit des temps. L’inculte ignore jusqu’à sa propre destinée et ne puit lutter pour défendre efficacement ses propres intérêts. Les élèves des médersas recevaient un enseignement qui répondait aux impératifs de leur époque martyrisée par l’oppression qu’il fallait à tout prix combattre pour retrouver la liberté. La notion du Djihad (le combat) qu’ils vivaient au plus profond de leurs êtres était gravée dans leurs esprits; elle était inhérente à la domination et constituait une force prodigieuse qui menaçait l’ordre établi.  

        Hamza dit que le rôle des lauréats des médersas consistait à éduquer les masses que le colonisateur plongeait dans l’ignorance pour maintenir indéfiniment sa domination, à leur rappeler qu’elles appartenaient à une race de défi qui honnissait toutes formes d’esclavage. Il est toujours bon d’entendre des éloges sur soi et les hommes éprouvèrent une certaine ivresse, ils souriaient et se regardaient, sans faire de commentaires. Ils se gonflèrent non sans raison, ils étaient fiers d’être eux-mêmes. L’éloquence du lauréat  donnait des images sublimes. Le cavalier en était fortement intéressé. Mais, il avait à faire ; le temps avait passé rapidement et c’était le moment de reprendre la route. Il fut très prodigue en compliments à l’égard de Hamza, puis il loua l’hospitalité de son hôte et demanda  à  prendre congé. Il dit qu’il avait encore beaucoup de chemin à faire et espérait arriver au crépuscule tombant au premier campement vers le sud où il y passerait la nuit, pour être le lendemain au soir dans son propre douar. Il ajouta que s’il faisait du retard, il devrait dormir à la belle étoile, car il n’est pas sage de déranger les bédouins au milieu de la nuit. Hadj Kadda savait qu’un invité devait être toujours blanc, soit se présenter à des moments opportuns de la journée, au lieu de provoquer au milieu de la nuit une certaine panique, car le douar d’accueil croirait automatiquement à une agression et agirait en cause. Le cavalier fit ses adieux et les quitta.

      

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