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conférence insurrection Marguerite ou des igha cente culturel Margueite ou AinToki; ahmed bencherif

     Disons tout de suite que l'œuvre est originale, élaborée sur une enquête minutieuse et une analyse objective des données historiques du dernier quart du 19ème siècle dont elle relate les évènements majeurs de la colonisation de l'Algérie. C'est une période riche en drames, oui la richesse n'est pas souvent pure et saine et les grands écrivains français, métropolitains dis-je, ne s'y penchèrent guère et ne l'avaient pas intégrée dans leurs travaux.. Censure? Manque de motivation? Pourtant ce drame état connu en France et nous avons deux témoignages et pas des moindres: Victor Hugo militait pour donner l'instruction publique aux enfants indigènes; Stendhal dénonçait les exactions. Bien sûr, l'un et l'autre le faisaient timidement. Quant aux écrivains algériens, qui avaient écrit, ils évoluèrent dans leurs travaux  autour de la misère à la Jean Val Jean de Victor Hugo. Ils n'avaient pas restitué le contexte historique de l'époque étudiée. Car on n'y voit vraiment pas les valeurs propres du peuple, ni ses caractères distinctifs,  encore moins  la fortune qu'il détenait ou l'instruction et la culture. Par ailleurs, les écrivains coloniaux n'avaient pas non plus consacré leur plume aux histoires du pays dans lequel ils vivaient. Ils étaient carrément des penseurs coloniaux pour accoucher de théories farfelues pour mieux brimer et oppresser et mener un combat raciste. C'étaient presque des nettoyeurs ethniques, dans la mesure où ils prônaient la déportation pure et simple des indigènes et des indigènes assimilés, soit les juifs qui avaient pourtant accédé à la citoyenneté française.

      L'œuvre, qui devait être  immense pour mieux situer le phénomène colonial, tourne autour de trois monstres qui dévoraient le peuple conquis et sans lesquels la colonisation n 'aurait pas été possible :

      - Le séquestre, invention romaine étoffée par le parti colonial. Depuis la grande guerre de 1871. Il frappait, très fort, toutes les tribus pour les déposséder de leurs terres agricoles. En vingt ans, il avait versé au domaine public un million d'has, soit deux fois plus qu'il n'avait été pris de terre pendant quarante ans de régime militaire qui était plus ou moins clément pour le peuple conquis qui à son tour lui réservait une quelconque sympathie.

     - L'impôt avait un caractère exorbitant et paupérisait les tribus; il était exigible séance tenante, sans préavis et sans délai  et se réservait le droit de recourir à l'huissier pour en assurer l'entrée. Le redevable se débrouillait pour payer et vendait tout pour échapper  à l'huissier, autre mangeur de fortune. Souvent, on le menaçait de mettre sa femme en prison, s'il ne payait pas et bien des fois la femme avait fait de la prison dans ces conditions.    

     - Une guerre sans nom est menée contre les populations forestières par les trois conservateurs départementaux dont les pouvoirs étaient exorbitants et les actes sans appel, fût-ce par le gouverneur général et les gardes forestiers frappaient d'amendes sans foi ni loi. Si le fellah des plaines était refoulé vers les piedmonts, le forestier était refoulé vers les montagnes. Cette politique, dit-on, servait à protéger l'environnement contre les feux de forets et leurs destructions.  Au fond, elle répondait à un double intérêt économique : séquestrer des terres et les verser dans le domaine public pour les besoins croissants de la colonisation; satisfaire les appétits voraces des concessionnaires qui surexploitaient l'un des maquis les lus denses au monde pour produire du tanin pour les fabriques du cuir et des textiles.

    La colonisation, synonyme d'accaparement des terres, se fait à outrance sans pitié, ni clémence. Elle reste froide devant les famines régionales, principalement celle du Chélif en 1892 où des milliers d'affamés sont interdits d'entrer dans les villes et les villages, par mesure d'hygiène, comme s'ils étaient des lépreux, se nourrissent d'herbes et de glands, meurent le long des sentiers, leurs dépouilles exposées aux charognards. Ainsi, la généreuse vallée du Chélif eut ce triste surnom de la vallée de la mort.

   Dans cette tragédie, la société évolue, prisonnière de ses contradictions. Le conflit permanent oppose les trois communautés : les colons, les indigènes, les juifs.

     - Les colons ne se suffisent pas et réclament, pour eux seuls, l'autonomie de l'Algérie. (Certains illuminés réclament l'indépendance, inspirés par la guerre d'indépendance de Cuba.) Ils réclament aussi l'annulation du décret Crémieux qui avait donné lé citoyenneté française aux juifs.

    - Par les urnes, les Juifs s'attirent des ennemis tour à tour parmi les opportunistes et les radicaux. Ils sont maltraités, molestés, pillés par les colons qui ne craignent nullement la loi, car ils sont la loi. Cette impunité conduira à la crise anti-juive qui avait embrasé l'Algérie en 1898.

   - L'indigène, ou le peuple dominé. Le peuple est vaincu, mais reste insoumis. Au terme d'une résistance armée de 40 ans, il continue de résister pacifiquement Il rejette la naturalisation, l'assimilation. Sa confiance pour retrouver sa liberté n'est jamais ébranlée. Il rejette le droit positif, conserve la charia, son culte, ses zaouïas pour l'enseignement et la solidarité. La parole orale de ses aèdes conserve le flambeau de la liberté allumée. 

    Le récit nous plonge dans le mode de vie de chaque communauté, son intimité familiale, ses amours, ses haines, ses jalousies, ses péchés, ses ambitions. C'est dans ce contexte que grandit Hamza, fils de famille maraboutique, plus ou moins riche. Cet adolescent idéaliste, qui ne manque de rien, souffre du mal de ses gens. Dans son esprit, germe l'idée de la révolution. Il en fait un rêve qui se précise de jour en jour pour devenir un projet pour lequel il vit.

 

 

 

1-La politique fiscale :

 

        La politique fiscale exorbitante et discriminatoire de succion permanente avait fragilisé les populations à un niveau honteusement scandaleux. Nul n’en était épargné : ni particuliers ni groupements en l’occurrence les tribus. A partir de 1871, le colon était désormais le maître du pays. La république, instaurée à la place de la monarchie, lui avait donné tous les moyens d’asservissement de l’indigène et ses propres voies pour avancer dans cette hantise permanente d’accaparement des terres par des lois draconiennes. D’abord, il n’était pas assujetti à l’impôt arabe (achour zekkat lezma) pour les troupeaux et les palmiers et les oliviers) qui représentait le nerf vital du budget des collectivités locales. Ainsi cette population conquise, jamais soumise, qui était de 2750000habitants, payait 22963030 d’impôts dont :

        -  5000000 de taxes municipales

        -  863000  d’impôts dits français

Ces mêmes populations payèrent de 1871 à 1881 34500000 de francs, impôt dit contribution de guerre qui avait frappé les tribus insurgées lors de la guerre d’El-MOkrani ; il faudrait encore y ajouter 9000000 de francs pour le rachat de terres séquestrées par les indigènes. Ainsi l’organe de presse La Vigie Algérienne lance un sévère avertissement sur cette surpression fiscale le 23 mars 1883 : « Il n’est pas exagéré de dire que si un tel régime de succion permanente était pratiqué dans un pays européen, fût-il le plus riche de tous, il suffirait de quelques années pour réduire ce pays à la plus complète misère ».

        Les proportions de prélèvement avaient dépassé tout entendement et là le poète du Malhoun, cet aède qui sillonnait les souks hebdomadaires, en dressait un réquisitoire sévère. Il condamnait sans ménagement l’injustice fiscale devant un public fort ruiné qui cherchait compassion  à ses douleurs, à ses plaies, à sa misère, qui cherchait aussi à garder toujours présent dans son quotidien le spectre de la domination coloniale et emmagasiner les colères pour s’insurger un jour et dire non au bourreau.    

« L’impôt nous frappe sans merci l’an entier

Pressure le pauvre et ruine le riche

Vends et paies la taxe ou attends l’huissier

Vends bijoux ou tamis, trophée ou fétiche

L’enchère menace et la terre tremble

Le fellah préserve tant qu’il peut et combat

Le colon le guette, sa joie à son comble

Tenté par un crédit espère le rachat

L’impôt ravit le blé, abandonne le son

Le fellah crie furieux, sème toujours le blé

Attend revenir dans la nuit le croissant

Trop fier trop digne et toujours révolté »

 

     Il fallait payer cet impôt exorbitant d’une manière ou d’une autre. Le régime fiscal ne prévoyait pas d’échéancier de paiement. Des prestations de service et des amendes étaient littéralement honorées en journées de travail consenties dans les chantiers publics ou même  les fermes de colons, si bien que ces journées de travail atteignirent des chiffres astronomiques qui s’avèrent ingérables principalement le service des forets. Il ne fallait pas seulement vendre les ustensiles, mais aussi les bijoux et des terres agricoles. Et là, les usuriers attendaient cette aubaine. Cette pratique avait ressemblé à sa sœur à l’époque païenne de la Mecque  soit prêter contre remboursement à très court terme, généralement six mois pour attendre une récolte et à cinq fois la valeur de l’emprunt. Ils étaient des Juifs, des Kabyles, des Mozabites, quelques Arabes, des colons aussi.

    

      2. Nostalgie existentielle :

 

         Face à ces torrents d’injustices, l’indigène n’épargnait pas sa mémoire. Il la nourrissait en permanence en se projetant dans le passé glorieux de sa race, les épopées héroïques de son peuple. Comme il ne venait de nulle part, il renouait avec ses racines et les gloires du passé vieux ou récent. Le poète était là pour tenir cette flamme allumée et lui rappeler toutes ces épopées, ces lumières, ce bien-être, l’odeur sainte de la terre. Ainsi Mozghana, autre appellation d’Alger, demeurait rivée dans sa conscience, par sa gloire passée et sa blessure du temps. Déjà il envisageait le maître de l’heure, le libérateur, le messie.

 

« Mozghana, qui guérira tes blessures ?    (1)

Certes, à celui-là je consacrerai ma vie !

A celui qui fermera les plaies de mon cœur,

Et chassera les Chrétiens loin de tes murs.

Tes défenseurs t’ont trahie,

Sans doute étaient-ils ivres »

 

          Le poète chantait cette grandeur, donnait de l’émotion à la nostalgie. Poésies célèbres, anonymes, qui animèrent les esprits sur la nécessité de la résistance au conquérant, alors que la défaite était encore fraîche. Poésies, avec d’autres plus innombrables, en arabe littéraire raffiné, qui furent diffusé dans tout le pays. Elles contribuèrent pour une large part à soulever les populations dont la nature était guerrière. 

 

« Hélas où est ce port célèbre,                         (2)

Et les butins de café et de drap,

Les câbles de cuir tressé avec lesquels on s’embossait

Les drapeaux de soie claquant au vent,

Les corsaires entrant dans la darse et tous ces captifs les mains liées derrière le dos ?

Pour les mécréants c’était là un crève cœur !

Les exploits d’Alger ont retenti dans les siècles passés. »

 

(1). Trad. J. Desparmet. Rev. Afr. 1930.  La poésie algérienne 1830 à nos jours. J. Dejeux.

(2). Trad. L. Veuillot. Les Français en Algérie en 1841. J. Dejeux. Idem.

à suivre

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