c'est moi qui l'ai tué; ahmed bencherif

A l’aube, Fatma se leva très mal en point, réveillée brutalement par de violentes nausées. Son coeur se soulevait, ses yeux étaient écarquillés, sa poitrine s’oppressait, une forte envie la tenaillait pour vomir. Elle quitta précipitamment son lit, tandis que son mari ronflait bruyamment. Elle regagna la courette intérieure, encore plongée dans la pénombre, en alluma la petite lampe murale tenue par un grillage de fortune, regagna le puits, puisa un sceau d’eau, dans un désagréable grincement strident de la poulie, courut vers la rigole du patio, se recroquevilla, enfonça l’index dans sa bouche jusqu’à la gorge et exerça une pression de reflux oesophagique. Aucun reste alimentaire ne fut pourtant rejeté, malgré deux ou trois tentatives. Fortement déçue et davantage amochée, elle rentra dans la cuisine, alluma le faible plafonnier, pulvérisa au pilori des feuilles sèches de genévrier et des zestes de grenade, en avala une cuillère, la première herbe médicinale agissant comme anti-bactérienne, la seconde comme pansement gastrique. Cette recette est efficace pour les diarrhées, connue depuis la nuit du temps. Le goût  amer et acide lui provoqua encore une forte envie de vomir. Bientôt, elle sentit le produit se fixer dans son estomac et eut un moment de soulagement.

        Commença alors sa longue journée de labeur dans un espace réduit qui muait du ménage propre à l’artisanat traditionnel. D’une pièce d’aluminium, aménagée en petite pelle, elle cura l’âtre de ses cendres volumineuses, y déposa trois grosses bûches en les croisant, en dessous desquelles elle fourra une poignée d’alfa sèche et de Drin, gratta une allumette qui s’éteignit, puis une autre  dont elle alluma un bout de papier qu’elle plaça sous les herbes sauvages dont une touffe brilla de petites étincelles écarlates sur lesquelles elle souffla longuement à en perdre haleine. Sa persévérance fut payée : le feu avait prit et crépitait. Elle installa ensuite le trépied sur lequel elle déposa la bouilloire pleine d’eau, puis tira à elle une peau de brebis sur laquelle elle s’assit en face de la cheminée, sentit une doucereuse chaleur la pénétrer agréablement qui lui prodiguait un léger assoupissement. Quelques minutes passèrent dans un silence monotone et la bouilloire se mit à ronronner. Fatma emplit une tasse d’eau chaude, regagna la chambre à bois dont elle alluma le plafonnier, entra dans le cabinet séparé par un muret, y fit  ses ablutions.

           Toujours dans le dépôt à bois, qui servait également de petite écurie qui abritait deux brebis et deux chèvres. Fatma dénoua un sac d’orge, en prit des rations qu’elle éparpilla dans la mangeoire. Elle ramena un sceau d’eau qu’elle vida dans une vielle bassine. Le petit troupeau s’abreuva et se nourrit. Fatma alla chercher encore un ustensile en alfa, s’approcha des bêtes  et commença à les traire. Puis elle ouvrit la porte d’entrée et les laissa sortir pour aller paître avec le troupeau du ksar. La production laitière était d’un demi litre, mais suffisante à la consommation journalière de son foyer en petit lait et en beurre.

        Dans la cuisine, elle pulvérisa du café en grains dans un vieux mortier en fonte, dur et lourd, mit trois cuillères en poudre dans une cafetière qu’elle laissa bouillir au coin du feu. Elle coupa une tranche de galette rassise qui était rangée dans une serviette en grosse laine teintée complètement en rouge altéré par les nombreuses lessives que cette étoffe subissait. Elle prit son petit déjeuner dans le calme des primes aurores, tantôt somnolente, tantôt rêveuse, comme si elle méditait sur sa fatale destinée soumise à l’homme depuis la nuit des temps, comme si elle cherchait à établir la priorité de ses nombreuses taches domestiques. Elle se leva héroïquement, résolue à battre laborieusement son label fatigant du jour.         

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