L’abandon du culte funéraire

            Le Jour pointait à ses primes aurores, dans un immense disque de couleurs  brisées entre le jaune ocre et le rouge violet, qui prenait imperceptiblement des figures géométriques fantaisistes, vers l’Orient souriant depuis les premiers âges de l’humanité. Le soleil émergeait doucement du néant et ses lumières partaient déjà conquérir le ciel  bleu.  La  vallée s’étendait à perte de vue et prenait interminablement de la largeur, ponctuée de vastes ilots broussailleux ou de marécages où vivait une faune sauvage diverse, dominée naturellement par le lion, fort adulé par la population Gétule qui habitait, depuis trois mille ans avant notre ère, ces contrées quasiment indomptables, caractérisées par un relief montagneux accidenté et un climat capricieux, plus ou moins semi-aride. La rivière conservait des plans d’eau qui s’écoulaient, plus loin, au sud-est, au-delà du puissant Mons Malethubalus, (monts des ksour) pour fertiliser le grand erg occidental qui en dépendait en termes d’hydrographie.  

          La vie reprenait son cours après un sommeil  nocturne, apportait son lot de joie ou de monotonie, donnait naissance à des espérances nouvelles, ouvrait son cycle de  brutalité et de  violence, dans cet environnement où rien  n’était cédé, mais arraché de haute lutte. Les bruits s’élevaient de toutes parts : ceux des animaux se bousculaient, ceux des hommes étaient intermittents. Au bout d’un  bref moment, ils s’étaient estompés, puis ce fut le calme qui régnait, troublé d’un moment à l’autre d’un chant lugubre du vent atlantique qui soufflait puissamment et faisait frémir les feuillages et les broussailles.

          Au sud du  bassin-versant, la montagne bleue se dressait majestueuse et imposante, avec des parois en saillie, favorable à l’ascension, marquée de dépressions abruptes où tombaient, de façon torrentielle, les eaux pluviales de saison. Son sommet, qui dépassait les deux mille mètres, semblait toucher le ciel. Ses bois étaient étagés et plus on montait, plus ils étaient épais et denses, parfois inextricables, par un tapis broussailleux de romarin, d’alfa, de palmiers nains. Le chêne vert, le genévrier et le pin les peuplaient essentiellement et en faible partie le châtaignier, le caroubier et même le pommier sauvage. Son gibier était  composé de mouflons, insuffisant cependant pour nourrir tous les grands prédateurs en grand  nombre et dont la mobilité rendait la chasse aléatoire.

        Sur les contreforts en pente douce, sillonnés de talwegs, situés à mille trois cents mètres d’altitude, le  village Gétule, Doug, s’étendait sur un immense site, d’Ouest en Est. Les chaumières, nombreuses et spacieuses, de forme conique, confectionnées en peaux de caprin, les unes cousues aux autres, étaient disséminées, les unes distantes des autres. Sur plusieurs éminences, étaient construits des groupes de tumuli, en  dalles, les unes posées sur les autres, qui faisaient huit mètres de diamètre et un mètre et demi de relief.             

            Les  cris troublaient le silence pastoral au petit jour. Ils se mêlaient, fusionnaient, se  confondaient, interprétaient une partition musicale du règne animalier : des bœufs beuglaient lugubrement, des brebis bêlaient sourdement, des chèvres chevrotaient tendrement, des chiens aboyaient furieusement, des ânes brayaient à en perdre haleine, des poules caquetaient de façon aigue et prolongée et de temps en temps, des barrissements d’éléphants donnaient l’effroi ou encore des rugissements rauques et  craintifs des lions.

            Une nuée de corbeaux planait presque au-dessus des chaumières. Ils poussaient des cris des cris graves, rauques, lugubres, tellement puissants qu’ils troublaient la mélodie du réveil du  village. Ils étaient chassés, injuriés et plus par les femmes que par les hommes, dont la culture superstitieuse était bien faite, depuis la nuit des temps. Ils annonçaient le  malheur imminent, bien plus par réputation que par des faits prouvés. N’était-il pas l’oiseau de mauvais augure, à tel point que la beauté de son plumage ne lui accordait aucune disgrâce, puisque sa proximité avec la mort est manifeste, en pleine nature principalement, autour d’une charogne, ce qui lui ôte toute noblesse.          

            Une légère  brise soufflait, Les tulipes et les lilas dansaient,  les hautes herbes  tanguaient, le gros tapis de neige scintillait sur la montagne, les points étaient pris d’assaut.  Les bêtes et les bestioles se vouaient à la vie, tout comme les humains qui en faisaient un culte sacré qu’il était impossible de profaner. Et pourtant, la mort rodait dans les parages.

            Dans leur chaumière, Chanoufa et sa fillette Getuliya se regardaient seulement. Elles n’avaient rien d’autre à faire. Elles étaient nues, fragilisées par le destin qui frappait à leur porte. Rien ne pouvait le conjurer. Cette famille était abandonnée par les siens.  Les petits enfants restaient immobiles, comme paralysés, comme si leur sang avait glacé dans leurs veines. Leur demeure de fortune était vide, sinistre, exigüe malgré ses dimensions normatives dans le  village. Le feu ne brûlait pas, ne conservait point de chaleur. Il était froidement macabre. Les cendres avaient été raclées et jetées au vent. Il n’y avait rien à manger. C’était la famine qui avait frappé de plein fouet ce foyer, qui ne mangeait pas depuis cinq jours au su et au vu de tous.    

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