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Max Régis n’était certainement pas un démagogue, mais un acteur clé dans ces évènements qui avaient marqué l’Algérie coloniale. Il était le produit pur du décret Crémieux du 24 octobre 1870, qui avait octroyé la nationalité française aux Juifs et donc la citoyenneté qui leur ouvrait le droit de participer dans la vie politique du pays, par la voie des urnes, malgré l’opposition viscérale des colons par pur antisémitisme bien enraciné. Ceux-ci menaient depuis cette date une haute lutte pour le faire abroger, qui bien des fois, avait été marquée par des actes de violence commis contre cette communauté. Ils étaient 35.000 Juifs, la plus importante communauté juive d’Afrique du Nord. L’origine de leur implantation remonte à l’antiquité et l’on retrouve des familles bien établies à Sétif, au quatrième siècle avant Jésus Christ, soit bien avant la conquête romaine et qui pratiquaient leur propre religion, parmi les populations païennes autochtones.    

         Parallèlement à l’antisémitisme très fort, la xénophobie alimentait également le débat public et inquiétait véritablement les colons qui y voyaient le péril étranger pouvant conduire jusqu’à la partition de l’Algérie. Au terme de la loi du 26 juin 1889, la naturalisation était devenue automatique pour :

            - les enfants nés d’un père étranger, né lui-même en Algérie.

            - les enfants  nés en Algérie d’un père qui n’y était pas né.

   Ces jeunes naturalisés parlaient leur langue maternelle, soit l’espagnol, l’italien, le maltais. En 1889, la carte démographique de l’Algérie état la suivante :

         Les Français étaient dénombrés à 384.000 dont 104.000 étaient nés en Algérie, 135.000 étaient venus de France, 109.000 étaient naturalisés. Aux côtés de cette population française, il existait 237.000 étrangers dont 20.000 marocains. En revanche, les Israélites étaient estimés à 48.703 au recensement de 1896. Donc on voit que l’élément français ethnique était minoritaire et que l’élément étranger allait croissant. Un important pan de la société métropolitaine et algérienne redoutait la formation d’une nouvelle nation, différenciée de celle de la France. Certains la voyaient à majorité espagnole qui serait en charge de préparer l’annexion par l’Espagne. Le député Eugène Etienne communiquait, dans son rapport de 1887, ses craintes dans ce sens. Les chiffres démographiques étaient alarmants. En effet, les Espagnols étaient 71.366 en 1872, 114.000 en 1881, 144.530 en 1886. Quant au député de Constantine Morinaud, il dénonçait la naturalisation massive d’Italiens. Ceux-ci étaient à 18.531 âmes en 1872, 44.315 en 1886.  La loi du 26 juin sur la naturalisation avait également doublé le nombre d’électeurs. Ce nouvel enjeu électoral d’inscrits potentiels issus de la naturalisation automatique inquiétait encore plus les politiciens algériens. Le constat était amer : l’élément étranger l’emportait dans 43 communes sur un total de cent qui constituaient le territoire civil. Donc cette loi était alors mise à l’index pour la faire abroger. Cette question déborda alors dans l’espace public et dès 1895, elle entrait dans les revendications coloniales majeures. Toute la classe politique adopta un cri de guerre : « A bas les Juifs et les étrangers ! » Opportunistes et radicaux, socialistes et révolutionnaires ne dissimulaient plus leurs sentiments xénophobes. Le leitmotiv de leur combat était désormais clamé, une nouvelle menace qui aura grandement servi les appétits coloniaux : « Si ce décret de 1889 n’est pas révisé, les Français peuvent se préparer à quitter l’Algérie ».

       Au sein de ce courant xénophobe, les alliances politiques flottaient. Les politiques Anti-juifs s’adressèrent aux étrangers en termes flatteurs, cherchant à les associer à leur cause antisémite, tant ceux-ci représentaient une force considérable politique et électorale. Car le nombre d’électeurs potentiels fils de naturalisés croissait à forte progression : ils étaient 2.715 en 1888, 2.631 en 1889, 4.710 en 1890, 4.465 en 1891, 4.988 en 1894, 5.280 en 1897.  Les frères Régis fondèrent leur propagande des plus efficaces  sur le thème anti-juif. Ils se distinguèrent, après la scission de ce front survenue dès 1898. Une nouvelle fois, ces étrangers étaient fustigés et la loi de 1889 était une nouvelle fois mise en avant sur la scène des revendications, à tel point que le Conseil Supérieur du gouvernement général émit des vœux pour la remanier, afin d’assurer l’influence dominante aux Français sur les naturalisés. Les héritiers de la conquête, autrement les fils de Français, vilipendaient les étrangers en termes crus et avec un patriotisme presque arrogant. Dans certains milieux intellectuels et politiques, cette idée circulait : «  les fils d’étrangers qui, investis de tous les droits politiques, deviennent les maîtres de ce pays que leurs ancêtres n’ont pas  conquis ».

        L’antisémitisme algérien s’était manifesté au lendemain du décret Crémieux. En effet, les colons jugeaient les Juifs, comme indigènes inassimilables. Ce caractère s’était renforcé  lors des élections législatives de juillet 1871 et pendant ce mois même, une ligue anti-juive a été fondée à Miliana pour écarter des urnes les nouveaux électeurs juifs dont les voix pesaient d’un parti à l’autre.  Les perdants dénonçaient naturellement le parti juif. Tous les partis courtisaient ces voix juives. Le député radical Morinaud, de Constantine, en fit campagne en 1892 en les rassurant : « Les opportunistes veulent nous mettre en guerre avec les Juifs. Nous ne tomberons pas dans leurs filets… ». Cependant la violence verbale tourna de façon gravissime à la violence physique, dès les législatives de 1881, pendant lesquelles la ville de Tlemcen, en Oranie, fut le théâtre d’émeutes pendant trois jours, dues à un réflexe anti-juif. Ce scénario se reproduisit du 29 juin au 2 juillet 1884 à Alger. Ce cri de colère brassa une grande foule estimée à 2.000 individus qui pillèrent, saccagèrent les magasins israélites. Les rapports officiels signalaient une forte propension d’étrangers dans ces émeutes, ainsi que l’élément arabe. Cependant le lendemain, l’élément arabe était disculpé, suivant un article dans le journal ‘L’Union africaine et la solidarité’ signé par le journaliste Aumerat qui couvrait les évènements et fut malmené par les manifestants. 

        Ce mouvement anti-juif allait prendre un nouveau tournant à partir de l’année 1895. Il devint mobilisateur de masses, fédérateur entre les différents adversaires politiques et en même temps se durcissait, se projetait résolument dans l’avenir. Il agaçait, perturbait et mettait mal à l’aise la Métropole qui le combattait pour protéger ses Français juifs d’Algérie, car elle-même mise en difficulté par le sentiment antisémite né de l’affaire Dreyfus. Mais les colons d’Algérie comprirent vite que l’anti-juiverie était un moyen par excellence pour infléchir le pouvoir de Paris et l’amener à consentir le maximum de revendications politiques. Les colons affirmaient l’émergence de la nation algérienne et disaient clairement qu’en Algérie il n’y a pas de Français mais il y’a des Algériens en Algérie. C’était donc une rébellion, au moins au niveau du discours, un sentiment de divorce bien affiché.

       L’année 1897 vit se tenir le premier congrès des colons dit - Congrès des agriculteurs algériens- Ses assises furent tenues au mois de novembre. Il fut salué unanimement par la presse comme étant constitutif d’une nouvelle gouvernance. Les congressistes se proposaient d’élaborer les cahiers algériens qui ne virent pas le jour ; néanmoins les discussions indiquaient clairement les objectifs : « La colonie n’a guère à se féliciter de la Métropole, les impôts augmentent, la colonisation s’arrête…Nous ne menons rien ici, car on ne nous consulte pas, nos avis ne sont pas plus écoutés que nos plainte et nos réclamations… » La presse coloniale modérée ou d’avant-garde  menait cette campagne avec virulence et persévérance.  Dès 1897, elle véhiculait des idées révolutionnaires et faisait référence à la révolution de 1789, comme elle annonçait l’institution des états généraux et l’adoption des cahiers de doléances d’Algérie. . Au III congrès socialiste, qui se tint à Alger au mois de Juin 1895, la harangue des groupes révolutionnaires vilipendait les Juifs. La violence  verbale était hors norme et le président du congrès, Daniel Saurin, beau frère de Max Régis, réussit tant bien que mal à la calmer, tout en condamnant lui-même vigoureusement les Juifs de toute race et le capital juif. Les anti-juifs menaient vigoureusement leur combat, en investissant carrément l’espace public, en multipliant des déclarations incendiaires et des journaux autour du thème d’autonomie et de l’affirmation identitaire de l’Algérie liée à la France par un certain fédéralisme ou bien purement une indépendance à l’image de Cuba.

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