Margueritte revisitée t 2 entre l'amour et la révolution ahmed bencherif

 

Au café maure, l’ambiance était à l’enterrement. Les clients en portaient le deuil. Ils étaient tristes, de mine quasiment abattue. Ils donnaient l’impression n’avoir jamais connu la joie tout au long de leur existence. Ils savaient que les colons avaient atteint leurs objectifs, ils les voyaient dans la rue ivres de triomphe, ils en percevaient toute l’arrogance du vainqueur aussi, tandis qu’eux descendaient aux enfers, échouaient dans les abimes dont ils ne pourraient en sortir. Hamza buvait un café seul dans un coin. Lui, n’était pas triste. Il était en colère, il enrageait dans son for intérieur. L’appel à la révolution le rongeait. Ses pensées l’écoutaient, son âme et son cœur, aussi. Son commando était prêt, armé pour faire mal au colon, très mal. Hélas, il était peu entrainé et il n’en avait fait que deux exercices. Car, tous se disaient aguerris. Il ne restait qu’à fixer l’échéance, le jour fatidique où, lui Hamza, entrerait dans l’histoire.             

     

    Dans la rue, Hamza marchait, telle une ombre fugitive, quasiment inconscient de ce qui se passait, dans l’impossibilité d’assimiler cette évolution politique qui ne présageait que des malheurs pour son peuple. Il en voulait au parti colonial, il en voulait à la France. Pourquoi la France avait-elle abandonné les musulmans français, comme elle le prétendait dans ses lois, alors qu’ils étaient de simples indigènes soumis à la loi, non protégés par la loi. La France les abandonnait aux appétits voraces des colons, à leurs arrogances, à leurs exactions, vexations de tous genres et oppressions. Jamais nation n’a été aussi avilie que cette Algérie meurtrie, tyrannisée, qui ne parvenait pas à se relever d’elle-même pour faire la joie de ses fils authentiques, vertueux et honnêtes, engagés à fond dans son amour. Ses propres fils la violaient tous les jours, tels ce caïd et ces tirailleurs qui croyaient que vraiment la France était leur mère.

 

Jamais le deuil et la joie ne s’étaient côtoyés de façon aussi apparente en pleine rue : la fête des colons arrosée à grands flots de vin, le noir abattement des indigènes sous leurs blancs burnous. Il était pire lorsque venaient à se croiser les regards des antagonistes. Ils disaient long, ils exprimaient long : l’arrogance et la jouissance sadique d’un côté, de l’autre, le feu de la vengeance qui dévorait les âmes. Là, la France avait échoué dans la dimension de fraternité qu’elle osait enseigner aux autres. Elle avait échoué à semer les graines de l’amour entre les gens. Elle avait tant opprimé ses sujets que le feu immense des vengeances couvait.

 

Hamza avait mal, sa colère tenait à un moindre regard équivoque, à la moindre ironie. Il maitrisait difficilement ses nerfs et évitait de croiser les gens, coupables ou victimes. Pour l’instant, il ne raisonnait même pas. On dirait qu’il avait mu en homme préhistorique à deux fonctions vitales : chasser, manger. Des colons l’interpellaient dans la rue, mus d’une joie excentrique. Il ne les entendait pas. Les indigènes le saluaient par courtoisie de circonstance. Son ouïe n’en percevait aucun son. Il était littéralement dans un état second, tant le choc avait quelque chose de sismique. Où allait-il ? Le savait-il lui-même en ces instants d’incertitude ?

 

Il marchait au hasard, ne sachant nullement où il allait. Il la vit ! Il la vit, comme une apparition surnaturelle qui lui parlait, le toucher. Peu à peu, il s’habituait à cette vision merveilleuse, féerique. Il la suivait des yeux, puis ses pensées prenaient imperceptiblement de l’ordre, son cœur commença à battre à son rythme normal. Alors, il sortit  de sa torpeur, son cerveau se mit à fonctionner de nouveau. Puis, il s’écria de toutes ses forces : Pauline. Elle s’arrêta, se retourna, resta immobile. Sa surprise était faite d’éblouissement et d’émerveillement, comme le soleil qui apparaitrait soudain dans la nuit. Elle ne croyait plus au retour de son amour et elle en était si heureuse. Il alla vers elle, sans gambader, ni courir, mais au pas d’un seigneur sûr de retrouver celle qui l’aimait. « Allons au jardin public, dit-il ».

 

  Ils se tenaient par les bras, souriants et allègres, légers comme des feuilles de printemps, pleines de vie et de sève. Ils marchaient comme des anges, à la félicité divine, comblés par la grâce de dieu. Au jardin public, les roses épanouies leur souriaient, dansaient pour eux, au souffle de la brise légère du matin, les conviaient à l’amour éternel, les encensaient de leurs parfums enivrants. Sur leur banc d’accueil, ils s’oubliaient dans la douceur du moment qu’ils espéraient ne jamais s’achever. Pris dans l’enchantement, ils voyageaient dans les espaces aériens. Ils étaient heureux, s’aimaient seulement des yeux. Elle lui caressait les cheveux, Il la tenait par la hanche. Il ne voulait pas la posséder, fidèle au serment qu’il s’était donné pour lui éviter des illusions douloureuses. Elle ne le tentait pas, par respect à ce pacte auquel elle n’avait pas souscrit. Ils restèrent ainsi plus de deux heures en espérant d’autres moments similaires. Mais se reproduiraient-ils ces moments ? Ils n’en savaient rien. Ils s’en allèrent et chacun prit la voie de son destin.

                                   

 Il fallait ce miracle de l’amour pour opérer la mue certaine dans l’état d’abattement dans lequel se trouvait momentanément Hamza et nul ne pouvait prédire combien celui-ci pourrait-il durer. Le jeune homme reprit vite ses esprits. Il était de nouveau maitre de sa boussole. Il partait droit devant son objectif, conférer avec ses compagnons, mettre au point ce qui ne l’avait pas été, fixer la date de la confrontation armée. Son courage n’avait nullement failli, sa volonté était de fer. Sur le plan du mental, il était ce guerrier intrépide. Il souriait à cette pensée. Il manquait d’expérience. Il ne savait pas que la guerre réservait les plus sinistres surprises qui n’étaient jamais du goût du soldat.           

 

  Hamza quitta le village et s’engagea à pied vers la forêt.  Après deux heures de marche, il arriva à la périphérie des gourbis. Des enfants jouaient. Ils étaient peut-être une dizaine. Dès qu’ils le  virent, ils sautèrent de joie. Désormais, Hamza était connu de tous, grâce à ses fréquentes visites. L’un d’eux lui dit que Mabrouk était à la clairière, avec quelques hommes. Il échangea deux ou trois mots avec eux et se dépêcha de rejoindre ses compagnons, qui étaient une dizaine et semblaient tenir une réunion. Ils furent joyeux de le voir et le prièrent de s’asseoir. Il fut rapidement associé à la discussion. L’un et l’autre prenaient la parole. Ils étaient loin de l’unanimité de l’action armée. Certains proposaient d’adresser une ultime requête au gouverneur général. D’autres prétendaient qu’ils étaient  malades. Hamza observa les uns et les autres et se rendit compte à l’évidence que ses compagnons ne possédaient nullement le tempérament guerrier de leurs pères. Il en était déçu et se mit en devoir de faire un autre prêche sur le djihad. Enfin, un consensus fut trouvé : ils mèneront leur combat au printemps suivant, pendant les fêtes festives. Sur cette résolution, ils se séparèrent et Hamza rentra chez lui content de l’accord entériné.   

 

  Vint le vingt-deux avril, journée qui était gaie. La nature elle-même souriait, le soleil se faisait plus clément, le vent frais soufflait, les fleurs s’épanouissaient, les feuilles d’arbres ou des légumes verdissaient avec éclat, un merle sifflait, un rossignol roucoulait, l’aigle planait fièrement, l’abeille bourdonnait, la guêpe construisait sa ruche en coquillage, le chant d’oiseaux ne cessait pas. Qui ne pourrait aimer notre mère nature quand elle nous prodiguait ses dons cléments et généreux ? Partout l’individu voyait la beauté ; mais l’artiste la pénétrait, lui donnait l’âme, un nouveau corps, une nouvelle vie ; il l’interprétait, l’exposait pour nous rapprocher davantage de notre mère nature que nous devons aimer comme notre propre chair, préserver contre les effets dévastateurs, contre les abus dans nos propres besoins. Elle n’avait pas les moyens de se défendre ; nous les avions. Nous disposions plus que jamais du savoir et des bras pour l’élever dans nos bras. Elle n’en sera que prodigue.

  

      En forêt, dans le territoire des Righa, les gourbis étaient disséminés un peu partout, construits en terre sèche, en contrefort d’une petite élévation, couverts de toits en bois, composés de deux chambres spacieuses au plus, enchâssés de portes basses et peu larges,  couronnés par une cheminée difforme et rarement groupés en quatre ou cinq, en raison de l’exigüité de l’espace. La tribu était matinale et trop affairée, dans l’air des grandes aumônes qu’elle donnait pour ses saints. 

 

       Les femmes activaient chez elles, préparaient le petit déjeuner dont l’odeur sortait par les portes ouvertes et creusait l’estomac, ou encore elles étaient accrochées au métier à tisser dont on entendait le peigne à fer cogner l’effet en ouvrage. Certaines surveillaient une marmite qui fumait à l’air libre et profitaient pour se réchauffer au soleil. Elles étaient toutes jolies et adorables. Elles conservaient leur embonpoint, se souciaient à se donner l’apparat que l’homme désirait et la forêt fournissait l’écorce de noyer qu’elles mâchaient pour se teinter les lèvres d’un violet ensorcelant et la garance qu’elles appliquaient en pommade sur leurs joues. Elles portaient de longues robes, les unes moins belles que les autres, un cardigan à moitié boutonné pour aérer la poitrine, un châle, un foulard, des sandales et rien de plus, mais ça leur tenait chaud.

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