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getuliya et le voyage ee la mort, ahmed bencherif

         Chatouf retourna dans sa hutte. Le dîner était prêt : du couscous avec un bouillon à base de lait, viande séchée et fondue dans la graisse, glands, galette au blé, les deux livres grillés et c’était tout. Chatouf posa une dalle qui était rangée dans un coin et servait de table à manger. Tous s’y mirent tout au tour. Puis il aida sa femme à servir dans des bols de terre cuite qu’elle-même façonnait. Avant de commencer à manger, ils prièrent leurs dieux à leur façon : le soleil, le feu, le bélier. Ils firent plutôt des signes de vénération, qu’ils ne récitèrent quoi que ce fût. Puis ils commencèrent à manger, se servant de cuillères à bois rustre et bientôt, il n’en resta plus aucun aliment. La ration pour chacun suffisait à peine à calmer les spasmes de la faim que tous ressentaient encore. Les grands, qui étaient imbus à la diète, ne bronchèrent pas. Mais les enfants crièrent leur faim. Chanoufa tenta de les calmer. Gétuliya ne dit plus rien, mais ses frères réclamèrent avec force. un surplus.

         - la viande du sanglier jeté en pâture pourrait nous nourrir plusieurs jours, dit le garçon cadet. Nous ne pouvons rester affamés et la donner à la lionne qui elle se procure son gibier plus aisément que nous.                                   

         - Mais mon fils, dit Chatouf, notre peuple ne mange pas le porc et le sanglier en est un parent. C’est un interdit établi par nos ancêtres et nous devons le respecter, au péril de notre mort que guette la faim. Nos frères Libyens au Nord font l’élevage du porc, mais ils ne le mangent pas.

         - Quel usage en font-ils, s’ils ne le mangent pas, rétorqua le garçon ?

         - Ils troquent leur production avec les pays voisins, comme les îles ibériques ou le pays des Romains.

         - Ces pays sont loin de chez nous, père ?

         - Oui fils. Une grande mer nous sépare et nos frères Libyens sont d’excellents navigateurs. Tu dois avoir toujours à l’esprit cette règle que tu devras appliquer. On respecte l’interdit, car il nous protège de choses périlleuses inconnues. Tu as compris fils ? Promets-moi d’en faire honneur.

         - Oui père. Q’en dis-tu Gétuliya ? Est-ce une bonne chose si notre peuple ne mange pas le porc ?

        - C’est une sagesse des Anciens qu’on ne peut pas discuter. C’est ça le respect aux morts.

        Le silence tomba sur tous, un silence froid, de mort qui plane, qui hante les esprits. Comme eux tous, Gétuliya le sentit dans sa chair qui la martyrisait. Depuis déjà un mois, elle y pensait. Elle la voyait arriver implacablement, plus forte qu’eux tous. Que pourrait-elle faire, sinon essayer d’en percer le mystère, s’imprégner d’images insolites, comme les suivantes dans ces vers :

  

                                         Mort, mot simple, mot tragique   

                                         Pourquoi dois-je penser à toi

                                         Si je suis juste ou inique

                                         De bonne ou mauvaise foi.

                                         Tu me surprendras toujours,

                                         Au bout de ma gloire pompeuse,

                                         Ou ma défaite sans retour,

                                         Dans ma vie riche ou miséreuse,

                                         Creuser ma propre tombe

                                         T’attendre dans mes peurs

                                         Sans voir de nouvelle aube,

                                         Ni son bonheur ou malheur.

         

        Cette réalité était amère pour cette famille. Chacun regagna son lit sans mot dire. Qui peut lutter contre la mort ? Personne. On lutte contre une maladie grave, mais avec la mort le combat est inégal. Pour ces gens-là la mort était un dieu à haïr. Car il ôtait la vie. Gétuliya ressentait toutes ces choses, car elle ne voulait pas

mourir. Elle pensait à ces voisins, ces cousins que la mort volontaire avait frappés. Ils n’avaient hélas laissé aucune mémoire, comme les Anciens qui avaient gravé leur histoire sur les rochers : hommes géants à la chasse ou en adoration, femmes émerveillées par la hardiesse de ceux-là, éléphants, girafes, buffles, bélier, disque solaire, javelines, des signes. Gétuliya dormit difficilement, en proie à d’affreux cauchemars.

         Chatouf retourna dans sa hutte. Le dîner était prêt : du couscous avec un bouillon à base de lait, viande séchée et fondue dans la graisse, glands, galette au blé, les deux livres grillés et c’était tout. Chatouf posa une dalle qui était rangée dans un coin et servait de table à manger. Tous s’y mirent tout au tour. Puis il aida sa femme à servir dans des bols de terre cuite qu’elle-même façonnait. Avant de commencer à manger, ils prièrent leurs dieux à leur façon : le soleil, le feu, le bélier. Ils firent plutôt des signes de vénération, qu’ils ne récitèrent quoi que ce fût. Puis ils commencèrent à manger, se servant de cuillères à bois rustre et bientôt, il n’en resta plus aucun aliment. La ration pour chacun suffisait à peine à calmer les spasmes de la faim que tous ressentaient encore. Les grands, qui étaient imbus à la diète, ne bronchèrent pas. Mais les enfants crièrent leur faim. Chanoufa tenta de les calmer. Gétuliya ne dit plus rien, mais ses frères réclamèrent avec force. un surplus.

         - la viande du sanglier jeté en pâture pourrait nous nourrir plusieurs jours, dit le garçon cadet. Nous ne pouvons rester affamés et la donner à la lionne qui elle se procure son gibier plus aisément que nous.                                   

         - Mais mon fils, dit Chatouf, notre peuple ne mange pas le porc et le sanglier en est un parent. C’est un interdit établi par nos ancêtres et nous devons le respecter, au péril de notre mort que guette la faim. Nos frères Libyens au Nord font l’élevage du porc, mais ils ne le mangent pas.

         - Quel usage en font-ils, s’ils ne le mangent pas, rétorqua le garçon ?

         - Ils troquent leur production avec les pays voisins, comme les îles ibériques ou le pays des Romains.

         - Ces pays sont loin de chez nous, père ?

         - Oui fils. Une grande mer nous sépare et nos frères Libyens sont d’excellents navigateurs. Tu dois avoir toujours à l’esprit cette règle que tu devras appliquer. On respecte l’interdit, car il nous protège de choses périlleuses inconnues. Tu as compris fils ? Promets-moi d’en faire honneur.

         - Oui père. Q’en dis-tu Gétuliya ? Est-ce une bonne chose si notre peuple ne mange pas le porc ?

        - C’est une sagesse des Anciens qu’on ne peut pas discuter. C’est ça le respect aux morts.

        Le silence tomba sur tous, un silence froid, de mort qui plane, qui hante les esprits. Comme eux tous, Gétuliya le sentit dans sa chair qui la martyrisait. Depuis déjà un mois, elle y pensait. Elle la voyait arriver implacablement, plus forte qu’eux tous. Que pourrait-elle faire, sinon essayer d’en percer le mystère, s’imprégner d’images insolites, comme les suivantes dans ces vers :

  

                                         Mort, mot simple, mot tragique   

                                         Pourquoi dois-je penser à toi

                                         Si je suis juste ou inique

                                         De bonne ou mauvaise foi.

                                         Tu me surprendras toujours,

                                         Au bout de ma gloire pompeuse,

                                         Ou ma défaite sans retour,

                                         Dans ma vie riche ou miséreuse,

                                         Creuser ma propre tombe

                                         T’attendre dans mes peurs

                                         Sans voir de nouvelle aube,

                                         Ni son bonheur ou malheur.

         

        Cette réalité était amère pour cette famille. Chacun regagna son lit sans mot dire. Qui peut lutter contre la mort ? Personne. On lutte contre une maladie grave, mais avec la mort le combat est inégal. Pour ces gens-là la mort était un dieu à haïr. Car il ôtait la vie. Gétuliya ressentait toutes ces choses, car elle ne voulait pas

mourir. Elle pensait à ces voisins, ces cousins que la mort volontaire avait frappés. Ils n’avaient hélas laissé aucune mémoire, comme les Anciens qui avaient gravé leur histoire sur les rochers : hommes géants à la chasse ou en adoration, femmes émerveillées par la hardiesse de ceux-là, éléphants, girafes, buffles, bélier, disque solaire, javelines, des signes. Gétuliya dormit difficilement, en proie à d’affreux cauchemars.

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