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au souk, extr c'est moi qui l'ai tué; ahmed bencherif

Sur son chemin vers le souk, il croisa la libertine qui faisait ses courses. Elle lui dit bonjour et passa son chemin. « Par le malheur de ton père, dit-il tout bas ! Déjà en besogne. » Au préau du bar, le barbecue fumait, activé par intermittence par le marchand de saucisses qui le soufflait avec un chute de carton. Deux douzaines de brochettes et de saucisses y grillaient et exhalaient de tendres odeurs. Ca creusait l’estomac de Mohammed. Il en bavait, se léchait les lèvres, comme s’il en mangeait réellement. Il en eut une forte envie et les lorgnait sans cesse. Il compta mentalement ses sous. Il pourrait croquer deux saucisses et quatre brochettes. Cela ne viderait pas son porte-monnaie et il lui resterait encore quelques francs pour la dépense du lendemain. Il se ravisa et dit que ces casse-croûtes étaient presque destinés aux clients du bar. Il y renonça et apprivoisa son envie, se promettant d’acheter des abats le jour du souk d’autant que sa recette journalière allait croître sous huitaine, par la première moisson des herbes d’orge. L’idiot, serveur au bar, en sortit et emporta les grillades cuites dans un plat rond en aluminium, avec une purée de moutarde.      

      Il traversait la place Lyautey, quand il rencontra Klaus, un légionnaire bâti comme un roc, pas très commode et très impulsif, craint de tous, qui avait un punch de tonnerre. Il évita de trop s’en approcher. L’autre l’interpella cependant et alla au devant de lu. Il marchait pesamment comme un buffle, écrasant le sol de ses chaussures ferrées et allant de pas rapide, comme un taureau qui charge. Il lui serra vigoureusement la main et quand Mohammed fit aie, il ricana de manière insolite et continua à serrer. « Mohammed, viens que je te paie un verre. C’est bon au main, ça lave tes boyaux des excès de Taama (couscous).» L’autre ne partagea nullement cette plaisanterie et resta calme. Il retira difficilement sa main et s’en alla en faisant quelques enjambées, tandis que l’autre fit un rire sarcastique de triomphe. Plus loin, il maugréa de plus belle : «Par le malheur de son père ! Vraiment, il a l’envergure d’une mule robuste ; Sur la place, bien sûr, il exhibe sa force. Si jamais, il se rendait avec moi à l’oued, je lui ferais manger du sable. Un homme de petite taille triomphe toujours d’un homme d’une grande taille. Oui, c’est la devise de tous les temps.» Il n’acceptait pas d’être  plaisamment rudoyé, moins encore  à témoin, ce qui froissait sa petite fierté.  

       Revenu au souk, il mit le bât à l’âne, qui ayant vu une ânesse, brayait à ne point finir, balançait de la queue, dressait ses longues oreilles. Il se mit sur sa monture, ses pieds frôlant presque le sol, fredonnant un air religieux, visiblement ivre de bonheur. Arrivé à la route qui menait au ksar, il descendit malgré lui, découragé par la côte raide du grand pont de l’oued. Il la remontait, côte à côte avec la bête qu’il poussait parfois par le postérieur pour l’aider dans cette escalade presque  à pic, telle une falaise à laquelle ressemblait fort bien le terre plein où était ancrée l’extrémité Nord du pont, assis sur d’énormes pierres circulaires, soutenues les unes aux autres par du liant de chaux travaillé par un génie certain. Mohammed lui-même en état essoufflé et eut un grand soulagement en atteignant la surface plane.

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